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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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Giesl
consulta machinalement sa montre gousset. Elle marquait 18 h 33. Le
baron était sans doute le premier à savoir qu’à l’horloge de l’Histoire, il
était en réalité minuit moins le quart.

V
Les derniers feux de la Sainte Russie
    Le temps des combinaisons et des artifices diplomatiques est
passé. Il n’y a plus d’initiatives individuelles, plus de volonté humaine qui
puisse résister au mécanisme automatique des forces déchaînées.
    Maurice Paléologue
Berlin, 26 juillet, 9 h 30
    — L’empereur François-Joseph a raison. La rupture des
relations diplomatiques n’est pas obligatoirement un casus belli [153]  !
    À la Wilhelmstrasse, le chancelier impérial et le secrétaire
d’État aux Affaires étrangères tentaient de se rassurer comme ils pouvaient.
Les événements s’étaient diablement emballés depuis deux jours. La suffisance
dont Bethmann-Hollweg faisait preuve jusque-là était en train de s’effriter
devant la fébrilité d’un homme angoissé.
    Ce n’était pas Jagow qui aurait pu insuffler de la quiétude
à Bethmann-Hollweg, lui qui griffonnait nerveusement des figurines de femme sur
des bouts de papier.
    Les deux dirigeants allemands attendaient la venue de sir Edward
Goschen, l’ambassadeur d’Angleterre, convoqué pour 9 h 45. Diplomate
chevronné, sir Edward avait déjà occupé plusieurs postes diplomatiques
importants. Avant Berlin, il avait dirigé l’ambassade de Vienne. Un de ces
hommes solides dont Adolphe Thiers aurait pu dire qu’« il ne prenait rien
au tragique, tout au sérieux ». On prétendait qu’à Londres il avait l’oreille
de son supérieur hiérarchique, sir Edward Grey en personne.
    À tout prendre, Jagow préférait de beaucoup Goschen à son
numéro deux, Horace Rumbold, un petit homme sec et hautain, plus british que nature. Rumbold était celui qui, trois semaines auparavant, avait lancé
tranquillement dans le bureau de Jagow :
    — Au fond, vous avez donné à l’Autriche un chèque en
blanc. Pour un diplomate, c’est aussi risqué que pour un banquier [154] …
    Jagow avait alors souri par pure politesse. Il n’appréciait
pas ce Rumbold, tout comme le Kaiser d’ailleurs. Un jour, Guillaume II
avait été invité à bord du super-dreadnought King-George V . Comme
c’était l’usage, l’empereur avait revêtu son uniforme d’apparat de grand amiral
de la flotte britannique. Sur le gaillard arrière du bâtiment, il avait croisé
Rumbold qui arborait, lui, jaquette et haut-de-forme gris. Révulsé, l’empereur
l’avait toisé d’une moue méprisante :
    — Depuis quand est-on autorisé à porter un
haut-de-forme sur un navire ? La prochaine fois que je vois encore ça, je
le défonce [155]  !
    Jagow ne souriait plus vraiment, ce matin du dimanche
26 juillet. Tout comme Bethmann, il était impatient de vérifier
l’information qu’ils avaient reçue de Londres le matin même en provenance du
prince Lichnowsky.
    Ah Lichnowsky ! Jagow s’attendait à tout de son
ambassadeur depuis qu’il avait lu dans une de ses dépêches qu’il serait
« difficile de stigmatiser toute la nation serbe comme un peuple de
vauriens et d’assassins [156]  ».
    À la Wilhelmstrasse, on n’avait pas une très haute opinion
de ce riche dilettante, excessivement acquis aux idées libérales, précisait-on
à dessein. Plus britannique que germanique, en somme. Ce n’était guère
étonnant. Homme d’influence – le Kaiser le tutoyait –, Lichnowsky
n’avait pas grand-chose d’un diplomate classique, crispé sur son plan de
carrière. On savait qu’il adressait régulièrement des rapports privés à
l’empereur. Lichnowsky se comportait sans la moindre gêne comme s’il était au
centre du pouvoir et non à sa périphérie.
    En toute logique, l’homme avait ses détracteurs. Dans le
passé, Kiderlen-Waechter l’avait snobé. Holstein, lui, prétendait que « ce
brave Lichnowsky s’imagine que parler d’une chose équivaut à la faire [157]  ».
Bernhard von Bülow, son ancien patron, le prenait pour un politicard
dépourvu de maîtrise de soi. Sans parler de ceux qui suspectaient Lichnowsky de
chercher à occuper le fauteuil de Bethmann-Hollweg. Il est vrai que l’intéressé
disait du chancelier : « C’est un hôte fort aimable et un agréable
compagnon. On assure aussi qu’il joue bien du piano [158] . »
    De tels jugements recelaient leur lot de jalousie ou de
malveillance. Mais on

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