1914 - Une guerre par accident
soit le motif et quelle que
soit l’attitude de la France ou de la Russie. Tout autre signal en provenance
de Londres ne pouvait être que trompeur ou de pure tactique. Même sir Edward
Goschen, qui leur tint à peu près le même langage que Lichnowsky, ne put leur
faire changer d’idée.
Le chancelier commençait toutefois à comprendre la gravité
de la situation. Il fallait désormais rappeler le Kaiser de sa croisière dans
les fjords norvégiens. Il y était opposé jusque-là, pas fâché de tenir
l’empereur éloigné de Potsdam. Chaque jour, il se contentait de faire
télégraphier au Hohenzollern les messages les plus significatifs et
c’était à peu près tout. Pour le reste, Guillaume était dans l’ignorance des
événements au moment où ils se produisaient. Il en était évidemment furieux.
Lorsqu’il avait appris que le gouvernement britannique
souhaitait que les Allemands tempèrent les exigences de Vienne, il avait
répliqué, rageur :
— Est-ce que cela me regarde ? Pas le moins du
monde. Les Serbes sont une bande de criminels, il faut les traiter comme des
criminels [162] !
Comme Londres insistait, le Kaiser s’était fendu d’un
commentaire écrit : « Effroyable impudence britannique ! Ils le
prennent de haut, sur un ton protecteur. Je n’admets pas cela [163] . »
Le 25 juillet dans la soirée, le Hohenzollern avait appareillé et mis le cap sur Kiel. La fièvre était en train de gagner les
états-majors comme les conseillers. Les responsabilités commençaient à se faire
pesantes. Pour la toute première fois, en cinq ans, le chancelier allemand en
éprouvait vraiment le fardeau avec la perspective de la guerre.
Overstand, comté de Norfolk, 26 juillet, midi
C’était une petite maison de vacances familiale qui donnait
de plain-pied sur les eaux grisâtres de la mer du Nord. Une maison de location
confortable comme il y en avait beaucoup d’autres dans les environs de la
station balnéaire de Great Yarmouth. À l’entrée, un peu à l’écart du voisinage,
une pancarte de bois vert sombre sur laquelle était écrit « Peer Tree
Cottage ». Ce week-end-là, Winston Churchill était venu s’y délasser en
famille.
Le Premier Lord de l’Amirauté avait été rasséréné par la
réponse serbe de la veille à l’ultimatum autrichien. Une réponse modérée et
habilement conciliante. Les causes d’un affrontement éventuel étaient en train
de se dissiper. La raison devrait pouvoir rapidement reprendre ses droits.
Edward Grey partageait cette opinion. Jugeant la situation en voie
d’apaisement, lui aussi avait quitté Londres pour Itchen Abbas, laissant son
adjoint Nicolson de service au Foreign Office.
Sur le coup de midi, Churchill fut alerté par son voisin le
plus proche, Edgar Speyer, un riche juif allemand. Un coup de téléphone en
provenance de Londres l’attendait en urgence. Peer Tree Cottage n’avait pas le
téléphone. Winston se hâta. Quelques minutes plus tard, il avait en ligne le
prince Louis qui l’informait de la rupture des relations diplomatiques entre
Vienne et Belgrade.
En raccrochant le combiné, Churchill parut préoccupé. Peu
après, il décida d’abréger ce dimanche ensoleillé de juillet et rallia
l’Admiralty House dans les plus brefs délais. Sa première décision fut
d’ordonner à la 1 re flotte, qui avait participé à la revue
navale de la semaine précédente, de ne pas se disperser. À cette heure, elle
était ancrée au large de l’île de Wight.
Sir Edward Grey ressentit un pareil sentiment
d’urgence. À son retour au Foreign Office, Arthur Nicolson l’informa qu’il avait
décidé de lancer officiellement la proposition de Conférence internationale
dont ils étaient convenus. La diplomatie anglaise se mettait la première en
mouvement, donnant le coup d’envoi des grandes manœuvres de chancellerie. Il
n’était que temps ! Cela faisait exactement vingt-huit jours que la crise
avait débuté.
Dès le lendemain, à Berlin, l’ambassadeur Goschen reprit le
chemin de la Wilhelmstrasse. Il y reçut un accueil mitigé de Jagow :
— En somme, ce que vous proposez c’est une sorte de
tribunal arbitral [164] ?
Le ministre allemand n’était pas convaincu. Du Hohenzollern ,
l’incorrigible Guillaume y avait également été de sa réaction :
— Je ne marche pas ! Dans les questions de vie et
d’honneur, on ne va pas consulter d’autres personnes [165] !
L’ambassadeur
Weitere Kostenlose Bücher