1914 - Une guerre par accident
imminente. Hier encore, on la
jugeait inconcevable. Aujourd’hui, on se demandait comment faire pour la
conjurer.
Sazonov tenait à remercier ses alliés pour les propos de
l’ambassadeur Paléologue suivant lesquels la Russie pouvait compter sur le
soutien total de la France.
Margerie en fut ébranlé. Paléologue avait-il vraiment été
jusqu’à donner une telle assurance ? Il s’en fut réveiller Viviani qui, à
son tour, prit contact avec Messimy. Décision fut prise en commun d’aller à
l’Élysée tirer Poincaré de son sommeil. L’affaire était grave. Au lieu
d’encourager les ardeurs des alliés russes, il s’agissait plutôt de les
refréner.
Le chef de l’État conclut à un malentendu. Peut-être le
télégramme de Viviani de l’avant-veille avait-il dû être mal interprété.
Personne n’osa incriminer ouvertement Paléologue même si chacun y songeait de
toute évidence. On fit signer à Viviani un nouveau télégramme remettant les
choses au point. Il était sept heures du matin.
Une heure plus tard, Margerie convoqua Iswolsky pour lui
commenter la position française. L’ambassadeur russe revint une seconde puis
une troisième fois au Quai d’Orsay au cours de cette journée du
30 juillet. À son grand dam, le belliciste convaincu qu’était Iswolsky
s’entendit dire qu’il fallait rechercher à tout prix une formule d’accommodement.
Il répercuta à contrecœur l’information à Saint-Pétersbourg. Lorsque son
télégramme parvint à destination, la mobilisation générale russe avait déjà été
décrétée.
*
Parmi toutes les préoccupations qui l’assaillaient, Poincaré
avait du moins un sujet de satisfaction. La veille de son retour en France, le
procès Caillaux avait pris fin dans un hourvari de vociférations et dans la
plus grande confusion.
Les dernières séances avaient été houleuses et pénibles. En
pleine audience, une violente passe d’armes avait opposé Henry Bernstein, un
dramaturge de renom ami intime de Calmette, à Joseph Caillaux. Ce dernier
s’était fait un plaisir de discréditer l’auteur de Après moi en
rappelant à la barre qu’il avait été condamné pour avoir déserté lors de son
service militaire. La réplique du boulevardier à succès avait été
cinglante :
— Nous assistons ici à une chose inconcevable, celle
d’un homme qui monte sur le cercueil de la victime de sa femme, pour vous
parler de plus haut ! À la guerre, il faut tirer soi-même. On ne se sert
pas d’une femme pour tirer à sa place [195] !
Dans la salle, les Camelots du roi et les nationalistes
antidreyfusards avaient applaudi à tout rompre… ceux-là mêmes qui dénonçaient
habituellement l’œuvre de Bernstein en l’assimilant à une juiverie intolérable.
Le réquisitoire du bâtonnier Chenu avait été implacable
mais, une fois encore, Joseph Caillaux s’était montré plus intelligent et plus
pugnace que ses adversaires. Henriette Caillaux encourait cinq ans de réclusion
au minimum. Elle fut acquittée sous les huées et les menaces des partisans de
la victime. Elle tomba en larmes dans les bras de son mari. Un de ses avocats,
Pascal Ceccaldi, fut agressé à la sortie du Palais de justice. Joseph Caillaux,
lui, était protégé par ses gardes du corps.
À la rédaction du Figaro , on prépara pour le
lendemain un article vengeur au titre sans surprise : « Un verdict
honteux ». De son côté, la rédaction du quotidien la Guerre sociale décida d’intituler son éditorial : « Vive Caillaux ! » La
conclusion se terminait par ces mots : « Heureux les partis dont les
chefs ont quelque chose quelque part… »
Même si son adversaire s’en sortait plutôt bien, Poincaré
avait tout lieu d’en être soulagé. Il n’y aurait pas de scandale politique.
Peterhof, 29 juillet, 14 h 15
La moiteur était accablante dans le cabinet de travail du
tsar, au premier étage de ce palais de style oriental donnant à pic sur le
golfe de Finlande. Le regard de Sazonov se porta machinalement sur les deux
tableaux représentant des scènes de guerre qui surplombaient le bureau. À
portée de main, une icône dorée de la Vierge de Novgorod ornait un
bonheur-du-jour.
Littéralement vidé de ses forces, le ministre des Affaires
étrangères paraissait avoir atteint son point de rupture :
— Tous ces débats n’ont plus grand sens, ne
trouvez-vous pas ?
— Je l’admets, Sire. La mobilisation générale est
désormais la
Weitere Kostenlose Bücher