1914 - Une guerre par accident
qu’il lui
donnait sa parole d’honneur qu’il agirait pour le maintien de la paix pour peu
que Nicky arrête sa mobilisation.
Pour la première fois depuis très longtemps, le tsar avait
pris une décision capitale de son propre chef sans consulter quiconque, ni sa
femme, ni Raspoutine, ni ses ministres, ni son fidèle attitré. À
vingt-trois heures, Nicolas téléphona à son ministre de la Guerre. Absorbé
par les directives de mobilisation, Soukhomlinov ne savait plus où donner de la
tête. Le tsar lui posa une seule question :
— Est-il vraiment impossible de stopper la
mobilisation ?
— Absolument impossible, Majesté. On ne peut freiner
une mobilisation et la faire repartir comme une automobile [200] …
Peu après, Ianouchkhévitch téléphona à Soukhomlinov. Il
paraissait en proie à une grande agitation :
— C’est épouvantable ! Le tsar vient de me
téléphoner. Nous devons ramener la mobilisation générale à une mobilisation
partielle. Que faut-il faire ?
Pendant longtemps, Soukhomlinov se remémorerait sa
réponse :
— Ne faites rien ! Strictement rien [201] !
Pour la première fois de sa vie, le général osait s’opposer
à un ordre formel du tsar. Le coup de massue n’en était pas moins évident pour
les dirigeants russes, civils et militaires, qui étaient dans l’incompréhension
la plus totale. Écumant de colère, le chef d’état-major des armées se prévalait
de cette logique militaire qu’on lui avait inculquée à l’École de guerre :
— La mobilisation est une affaire grave ! Elle ne
s’improvise pas ! Surtout, elle ne saurait être sujette à des sautes
d’humeur, même impériales [202] !
Porte-parole autoproclamé de l’état-major militaire, le
grand-duc Nicolas se fit un devoir de sonner la charge :
— Nos chefs sont littéralement terrifiés à l’idée de
prendre du retard sur nos adversaires. Notre processus de mobilisation est déjà
si long. Et cette guerre, si jamais elle se produit, menace d’être si courte [203] .
Le lendemain, jeudi 30 juillet, la pression des
militaires s’intensifia. Au cours de la matinée, le ministre de la Guerre
Soukhomlinov et le chef d’état-major général Ianouchkhévitch téléphonèrent au
tsar pour tenter de le faire revenir sur sa décision. En vain.
À quinze heures, Nicolas reçut de nouveau Sazonov.
Après s’être longuement concerté avec son chef de cabinet, le baron Maurice von Schilling,
ce dernier avait fini par se rallier à l’option de la mobilisation générale.
Le chef de la diplomatie russe venait de s’entretenir avec
l’ambassadeur Pourtalès. La discussion avait fait long feu tellement l’Allemand
était apparu au bout de son rouleau.
Face au tsar, Sazonov était désormais déterminé :
— Majesté, si nous restons inertes, notre pays risque
de perdre toute espèce d’existence dans les Balkans et de se condamner à une
condition misérable, au gré des empires du centre [204] .
Le tsar ne voulait pas en démordre, se raccrochant à l’idée
que tout n’était pas encore joué. L’apaisement avec l’Allemagne restait encore
possible. Et la paix, surtout. La paix.
Nicolas s’obstina pendant plus d’une heure, une éternité. Il
luttait cependant contre lui-même. Sa proposition de saisine d’une juridiction
internationale n’avait pas été prise au sérieux à Berlin. Qui, d’ailleurs, en
Europe aurait été prêt à lui accorder du crédit ?
Il y avait aussi ce dernier télégramme de Guillaume II,
d’un ton nettement moins amène. Il s’achevait par ces mots : « Des
mesures militaires pourraient compromettre mon rôle de médiateur que j’ai si
joyeusement accepté sur Ton appel à mon amitié. Tout le poids de la décision à
prendre pèse actuellement sur Tes épaules, qui auront à supporter la
responsabilité de la guerre ou de la paix [205] . »
De dépit, Nicolas s’en prit à Sazonov :
— Songez à la responsabilité que vous me conseillez de
prendre. Songez aux milliers et milliers d’hommes qui vont être envoyés à la
mort !
— La conscience de Votre Majesté, pas plus que la
mienne, n’aura rien à se reprocher si la guerre éclate. Il est clair que
l’Allemagne ne cherche qu’à gagner du temps. Il faut à présent songer à la
sécurité de la Russie [206] .
Le tsar tint à recueillir l’avis d’un fidèle, le général
Tatischev qui était chargé des rapports diplomatiques avec l’Allemagne.
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