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1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
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cette ennemie tutélaire qui convoitait
avec toujours autant d’insistance les détroits, Bosphore et Dardanelles,
indispensables à sa flotte. Insupportable Russie qui, déjà, appelait la
capitale ottomane Czargrad…
    Il y avait aussi l’Angleterre. Décevante Albion qui avait
longtemps été la grande protectrice de l’Empire, en raison de sa position
stratégique sur la route des Indes, mais qui le snobait ouvertement désormais.
De Gladstone à lord Salisbury, ce n’avait été au cours de ces dernières
années qu’un florilège de réflexions péjoratives et désagréables à l’égard du
Turc, ce « mauvais cheval », ce « seul grand spécimen
anti-humain de l’humanité [186]  »…
    Sans parler de Winston Churchill. Enver Pacha l’avait
rencontré une seule fois, cinq ans auparavant, mais cela avait suffi. L’Anglais
lui avait paru condescendant voire insultant tandis qu’il évoquait sans le
moindre égard cette « Turquie scandaleuse, croulante, décrépite et sans le
sou [187]  ».
    Tout de même ! Enver Pacha n’aurait jamais cru les
Anglais capables d’une audace aussi perverse, de la pure piraterie à ses yeux.
Peut-être ignorait-il que Londres était au courant des intentions de la
diplomatie ottomane, avouées ou non. Churchill avait même lu des rapports très
détaillés sur le comité Union et Progrès – le parti politique au pouvoir –
et sur ses leaders. Il savait que les Allemands parlaient en plaisantant d’ Enverland pour désigner ce qui restait de l’Empire ottoman.
    En tout cas, pour le Premier Lord de l’Amirauté, une chose
était acquise : Constantinople était un allié potentiel de l’Allemagne et
il ne lui ferait aucun cadeau. Quitte à donner une signification assez large à
la notion de cadeau…
    Depuis plus de deux ans déjà, les Ottomans avaient passé
commande auprès des chantiers navals britanniques de deux superbes cuirassés
qui pouvaient aisément concurrencer les unités les plus performantes de la
Royal Navy. L’un d’entre eux était même doté de canons de 342 mm, le nec
plus ultra . Les Turcs s’étaient saignés aux quatre veines pour se procurer
ces navires qui leur coûtaient la bagatelle de trente millions de livres
sterling. Une souscription populaire avait même été lancée à cette fin.
    Deux mois auparavant, fin mai, le premier de ces cuirassés,
baptisé Sultan Oman , était sorti des chantiers navals et en grande
partie payé. Les Turcs souhaitaient le rapatrier mais Churchill s’y était
opposé. Il avait vaguement évoqué un mystérieux complot grec destiné à faire
envoyer le bâtiment par le fond. À l’en croire, mieux valait attendre
l’achèvement du second cuirassé, le Rechadieh , afin d’effectuer la
traversée en toute sécurité. Ce dernier fut achevé au début juillet. Les Turcs
devenaient de plus en plus fébriles.
    Churchill fit convoquer l’ambassadeur ottoman à Londres. Il lui
tint son discours le plus suave :
    — Je ne vois aucun inconvénient à livrer les deux
navires. Mais il nous faut parfaire les essais de vitesse et d’artillerie. Vous
le comprendrez aisément, notre réputation d’excellence technique ne saurait
être prise en défaut [188] .
    Les choses en étaient toujours au même point trois semaines
plus tard. À Constantinople, le ministre de la Marine Djemal Pacha tempêta
comme un beau diable. Cela n’eut d’autre effet que d’accentuer la placidité
britannique.
    Le 28 juillet, enfin, Winston Churchill fit ordonner de
réquisitionner les deux cuirassés pour une raison impérieuse de « sécurité
nationale ». Il n’avait en fait aucune intention de livrer les navires.
Sur les rives de la Tyne, le commandant turc patientait en compagnie de cinq
cents marins. Furieux, il menaça de prendre de force les navires et d’y hisser
le pavillon national frappé du Croissant. L’Amirauté britannique répliqua en
faisant savoir qu’elle s’opposerait à toute tentative de ce genre. « Par
la force des armes, si nécessaire », eut-elle soin de préciser
tranquillement [189] .
    À Constantinople, Enver Pacha explosa :
    — C’est un acte de piraterie inouï !
    C’était aussi d’ailleurs l’opinion d’Edward Grey. Ce dernier
n’en éprouvait pourtant pas le moindre commencement de regret :
    — Les Turcs comprendront, j’en suis convaincu, que nous
puissions utiliser ces deux unités pour nos propres besoins, en cette crise.
Les torts financiers et

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