Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
1914 - Une guerre par accident

1914 - Une guerre par accident

Titel: 1914 - Une guerre par accident Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Georges Ayache
Vom Netzwerk:
Delcassé ne boudait pas son plaisir. Ferry, lui, en
retirait une conclusion angoissée :
    « Pour la première fois, j’ai senti la guerre, je l’ai
vue inévitable [258] . »
    Jaurès n’avait pas de tels états d’âme. Il déversa sa bile
d’entrée :
    — Vous êtes victimes d’Iswolsky et d’une intrigue russe.
Nous allons vous dénoncer, ministres à la tête légère, dussions-nous être
fusillés !
    Puis il s’apaisa, réalisant tout à coup que le pauvre Ferry
n’y était pour rien. Il argumenta plus posément, continuant néanmoins à pester
contre le gouvernement tsariste et ses représentants. Il s’enquit également de
la position de l’Angleterre, se demanda s’il était encore possible de
solliciter l’intervention du président américain Woodrow Wilson.
    Au fond de lui-même, Ferry éprouvait de l’admiration pour le
grand tribun. Il laissa échapper un soupir de sincérité :
    — Ah ! Monsieur Jaurès ! Que n’êtes-vous
parmi nous pour nous aider de vos conseils !
    L’entretien touchait à sa fin. En raccompagnant ses hôtes,
Ferry fixa Jaurès droit dans les yeux :
    — Qu’allez-vous faire maintenant ?
    La réponse fusa, rocailleuse :
    — Continuer notre campagne contre la guerre, bien
sûr !
    — On vous assassinera au premier coin de rue [259] …
    Jaurès connaissait la rengaine. Elle lui était maintenant
quotidiennement assenée. Chaque jour plus violente, chaque jour plus venimeuse.
Le dernier en date à la lui avoir rappelée était son ancien ami Charles Péguy.
Celui-ci réclamait désormais pour Jaurès « une charrette et un roulement
de tambour… en attendant que la guillotine nous en délivre [260]  ! ».
    Le grand chef socialiste en était tout autant conscient
qu’un autre quand il affirmait, la veille encore, à son ami Amédée
Dunois :
    « Cette guerre va réveiller toutes les passions
bestiales. Il faut nous attendre à être assassinés au coin des rues [261] . »
    Pour autant Jaurès avait pris ses responsabilités. Et il les
assumait jusqu’à l’extrême limite, tout en ajoutant sur un ton de fatalisme un
rien enjoué : « D’ailleurs, on nous tuera d’abord et on le regrettera
peut-être après [262] . »
    Le temps des regrets n’était pas encore venu. L’heure de
l’assassinat sonnait à présent, glaciale et sinistre.
    *
    Peu après la nouvelle du meurtre de Jaurès, Léon Blum
s’était précipité au domicile du tribun où le corps avait été transporté aux
alentours de minuit. La journée aurait dû être enthousiasmante pour ce
conseiller d’État de quarante-deux ans, épris de socialisme mais aussi de
littérature. Collaborateur régulier de la Revue Blanche , il venait de
publier, ce vendredi 31 juillet chez l’éditeur Ollendorf, son long essai
sur Stendhal et le Beylisme .
    Léon Blum resta toute la nuit, parmi les fidèles, à veiller
la dépouille du tribun sur laquelle commençaient à s’amonceler fleurs et
couronnes. Au matin, quelqu’un frappa doucement à la porte d’entrée. C’était
Maurice Barrès. Le Barrès de l’exaltation nationaliste qui venait remettre à
Madeleine, la fille de Jaurès, la lettre que lui avait dictée d’instinct
l’admiration qu’il professait pour cet adversaire immense. Léon Blum s’avança
pour accueillir l’académicien. Maître à penser de toute une génération, Barrès
l’avait été également de Blum. À ce dernier, il dit simplement en lui remettant
sa lettre :
    — Votre deuil est aussi le mien [263] .
    *
    À l’Élysée, le président Poincaré fut réveillé en pleine
nuit par Alexandre Iswolsky. Le chef de l’État connaissait déjà la raison de
cette démarche : l’ultimatum à la France délivré en fin d’après-midi par
l’ambassadeur d’Allemagne.
    Bien sûr, Poincaré savait déjà quelle serait la réponse de
la France à cet ultimatum. Mais ce n’était pas à deux heures du matin qu’on
allait se lancer dans une discussion politique, même avec un allié. Le
comportement d’Iswolsky trahissait une profonde agitation. Poincaré lui
dispensa quelques paroles lénifiantes avant de le laisser repartir. Le Conseil
des ministres se réunirait ici même dans quelques heures. On serait alors, on
était déjà le 1 er  août. Le premier jour de la guerre.
    Le président de la République n’avait pas été le seul à
avoir été réveillé de force, cette nuit-là. Presque au même moment, rue
Saint-Dominique, l’attaché

Weitere Kostenlose Bücher