1941-Le monde prend feu
Staline qui, à trois reprises entre octobre
et novembre, a été reçue ici, par son père, dans le lieu le plus secret, le
milieu le plus fermé de toute la Russie.
Ils sont une quinzaine, Molotov, Kaganovitch, Beria, Vorochilov,
Malenkov, auxquels se joint parfois, à l’invitation expresse de Staline, Georgi
Joukov, le commandant du front central. Staline, les yeux mi-clos, observe le
général, qui est devenu le deuxième personnage de Russie.
C’est pour cela que Staline s’en méfie, mais en même temps
il faut lui faire confiance. Les troupes, les soldats, même les généraux ont
besoin d’avoir à leur tête l’un des leurs, mais ils ne doivent jamais oublier
qu’au-dessus de Joukov, il y a Staline, qui décide de tout en dernière instance,
et qui a droit de vie et de mort sur chacun.
Même sur Joukov.
Mais ce soir du dimanche 7 décembre 1941, l’heure n’est
pas au doute, à la suspicion.
Staline vient d’apprendre par un message de l’ambassade des
États-Unis à Moscou que les Japonais ont attaqué Pearl Harbor, que la plus
grande partie de la flotte américaine a été coulée par ce raid aérien.
Staline observe ses convives.
Tous parlent plus fort que d’habitude comme s’ils étaient
déjà un peu ivres. Ils attendent, tournés vers Staline, que celui-ci analyse la
situation créée par l’entrée dans la guerre des États-Unis !
Staline veut rester impassible, ne pas donner à voir ce
soulagement qu’il ressent, cet orgueil aussi.
Car il a depuis le mois d’avril 1941 tout fait pour
détourner la menace d’une agression japonaise contre la Russie.
Il a conclu avec Tokyo un pacte de non-agression, empêchant
ainsi que le Japon et l’Allemagne, pourtant liés par le pacte antiKomintern –
depuis 1936 –, ne conjuguent des offensives contre la Russie.
Il a réussi.
Il a pu offrir à Joukov quatre cent mille hommes retirés de
la frontière sibérienne. Il a parié sur le respect par le Japon de sa
neutralité à l’égard de l’URSS. Et désormais, et sans doute pour plusieurs mois,
le risque n’existe plus d’une attaque japonaise, puisque Tokyo a choisi d’affronter
les États-Unis.
Solidaire de Tokyo, Hitler va déclarer la guerre à l’Amérique,
et la situation de la Russie s’en trouve mécaniquement renforcée.
Mais Staline ne dit pas cela, ce dimanche 7 décembre
1941. Il insiste au contraire sur le probable ralentissement des envois de
matériel américain, car Washington va vouloir venger Pearl Harbor, et avec les
Anglais, les États-Unis auront à faire face à la poussée japonaise.
Il va falloir rappeler à Churchill et à Roosevelt que la
priorité est à l’écrasement de l’Allemagne. Et que le sort de cette bataille se
joue en Russie, ici, devant Moscou.
Il faut marteler cela, exiger comme Staline le fait depuis
le mois de juillet l’ouverture d’un « second front » dans les Balkans,
en France. Et l’occupation anglo-russe de l’Iran, qui vient d’avoir lieu, n’est
qu’un premier pas dans la voie de cette coopération militaire.
Mais pour l’heure, il faut apporter son soutien aux
États-Unis en veillant à ne pas irriter les Japonais, et le plus simple est de
ne pas les nommer !
Staline, ce dimanche 7 décembre 1941, câble au
président Roosevelt :
« Je vous souhaite la victoire dans votre lutte contre
l’agression dans le Pacifique… »
42.
De Gaulle, ce dimanche 7 décembre 1941, rentrant d’une
longue promenade, s’est installé dans un fauteuil placé près de la radio dans
le salon de la maison d’Ellesmer où il se rend presque chaque week-end.
Il est en compagnie du chef du Bureau central de
renseignement et d’action (BCRA) de la France Libre, un officier du génie, polytechnicien,
du nom de Dewavrin, mais qui a choisi pour pseudonyme Passy. C’est un homme
froid, flegmatique.
Cependant, quand, de Gaulle ayant tourné le bouton de la
radio, on entend le speaker répéter plusieurs fois que l’aviation japonaise a
bombardé la base aérienne de Pearl Harbor, Passy ne peut s’empêcher de s’exclamer,
d’esquisser un mouvement des bras, tout à fait inattendu et qui pourrait
exprimer son enthousiasme.
Mais de Gaulle d’un geste brusque arrête la radio.
Le Général veut réfréner cet optimisme qui tout à coup l’envahit.
Car les États-Unis, humiliés à Pearl Harbor, vont réagir avec toute leur
puissance, et leur entrée dans la guerre, après celle
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