1943-Le souffle de la victoire
Peut-être réussira-t-il à dire quelques
mots à Philippe. En tout cas, il verra des combattants. Et il respirera l’air
libre de la mer.
Il fait froid, ce 18 janvier 1943, sur l’appontement de
Weymouth. Il bruine. De Gaulle aperçoit au dernier rang des marins et des
aspirants qui l’entourent son fils Philippe. Un bref regard. Une émotion qu’il
faut contenir pour s’adresser à ces hommes, leur expliquer en quelques mots qu’aucun
compromis n’est possible entre la France Combattante, eux, et les anciennes
autorités de Vichy. Puis un aspirant de grande taille lui prête son ciré. Car
de Gaulle veut partager, ne fût-ce que quelques heures, la vie de ces marins, connaître
l’existence que mène Philippe. De Gaulle monte à bord de la vedette du chef de
patrouille.
Le vent, les embruns, l’horizon gris qu’il scrute avec des
jumelles depuis l’étroite passerelle. La vedette creuse son sillon à grande
vitesse. Et ce n’est qu’au bout de trois heures que de Gaulle donne le signal
du retour. Il aperçoit, au moment où la vedette stoppe le moteur, Philippe qui,
sur son navire, commande la manœuvre.
Mais il faut déjeuner à l’hôtel Gloucester, avec les
autorités de la base. Et l’heure du départ approche.
De Gaulle s’isole un quart d’heure dans un petit bureau. Voici
Philippe, enfin ! Si frêle d’apparence, mais qu’il sent vigoureux
cependant. On n’échange que quelques phrases. Une accolade un peu plus longue
qu’à l’habitude.
Il regarde son fils s’éloigner. Quand le reverra-t-il ?
À la grâce de Dieu !
Il s’attend, dès son retour à Londres, à recevoir un nouveau
message de Churchill, qui sera, il en est convaincu, menaçant.
Mais la colère bouillonne en lui quand il lit, le 19 janvier,
le texte du télégramme de Churchill : « Je suis autorisé à vous dire
que l’invitation qui vous est adressée vient du président des États-Unis, aussi
bien que de moi-même… Les conséquences de ce refus, si vous persistez, porteront
un grave dommage à la France Combattante… Les conversations devront avoir lieu
même en votre absence… »
Menace ! Chantage ! De Gaulle ne peut pas décider
seul, le moment est trop grave. Il réunit le Comité national. Il est réticent, mais
la majorité se prononce pour la participation aux conversations. Il grimace.
« J’irai au Maroc pour me rendre à l’invitation de
Roosevelt, dit de Gaulle. Je n’y serais pas allé pour Churchill seul. »
Il lit lui-même à Eden, d’une voix sèche et méprisante, le
texte de sa réponse :
« Vous me demandez de prendre part à l’improviste… à
des entretiens dont je ne connais ni le programme ni les conditions, et dans
lesquels vous m’emmenez à discuter soudainement avec vous de problèmes qui
engagent à tous égards l’avenir de l’Empire français et celui de la France…
« Mais la situation générale de la guerre et l’état où
se trouve provisoirement la France ne me permettent pas de refuser de
rencontrer le président des États-Unis et le Premier ministre de Sa Majesté… »
De Gaulle s’installe dans l’avion. Le siège est étroit, le
froid vif. Boislambert, l’un des premiers Français Libres, ne peut trouver
place que sur un tas de cordages aux pieds de De Gaulle.
De Gaulle se retourne. La cabine est encombrée, le capitaine
Teyssot est assis au fond, à même le plancher.
De Gaulle ne souffre pas physiquement de cet inconfort. Il
ferme les yeux. Il somnole. Boislambert s’est endormi et appuie sa tête sur son
genou. Mais cet avion glacé où les Anglais ont entassé des représentants de la
France Combattante est le symbole de la faiblesse française, du mépris
britannique.
À Gibraltar, dans la douceur du climat qui contraste déjà
avec l’humidité londonienne, le général MacFarlane est aimable. Mais à l’arrivée,
le 22 janvier, à l’aéroport de Fedala, de Gaulle se sent à nouveau humilié.
Cette terre marocaine est sous la souveraineté française, et cependant il n’y a
pas de garde d’honneur pour accueillir le chef de la France Combattante. Seulement
le général américain Wilbur, que de Gaulle reconnaît. Wilbur était élève à l’École
de guerre. Il y a un représentant de Churchill et le colonel de Linarès, qui
transmet une invitation à déjeuner de Giraud. Et partout, des sentinelles
américaines. Au moment où il monte dans la première voiture, de marque
américaine
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