1943-Le souffle de la victoire
l’heure actuelle notre devoir serait de lui confier les
destinées de la France, pour autant que cela soit en notre pouvoir… Nous ne l’avons
jamais reconnu comme représentant de la France… Je ne puis croire que de Gaulle
incarne la France. »
Qu’opposer à ce réquisitoire de Roosevelt et de Churchill ?
La vague patriotique qui en cette mi-janvier 1943 soulève la
France se tourne vers de Gaulle.
À Londres, de Gaulle reçoit le socialiste Christian Pineau, d’autres
résistants du mouvement Libération qui arrivent du pays occupé qui tous
réclament la constitution d’un Comité national où se regrouperaient les
représentants des partis et des mouvements de résistance.
Il écoute. On lui apporte, ce 16 janvier, une longue
lettre de Léon Blum qui, de sa prison, insiste pour qu’il mette sur pied un « programme
de rassemblement national ». Blum indique qu’il a écrit à Churchill et à
Roosevelt : « On sert la France démocratique en aidant le général de
Gaulle à prendre dès à présent l’attitude d’un chef. »
De Gaulle ferme à demi les yeux.
Il se souvient de ce jour de 1936 où Blum, président du
Conseil, l’avait reçu, harcelé par les téléphones, impuissant à entreprendre la
réforme de l’armée. De Blum, acceptant et même se félicitant de Munich. De Blum
favorable, le 16 juin 1940, à la constitution d’un gouvernement Pétain. Et
ce Blum aujourd’hui, homme honnête, soucieux de l’avenir du pays et apportant
son concours à la France Combattante.
De Gaulle, allant et venant dans son bureau, fumant
cigarette sur cigarette, médite longuement. Il se sent capable de gagner cette
partie, parce qu’il ne joue que pour la France et en son nom.
Mais il faut être sur ses gardes à chaque instant.
Que veut Eden, le ministre des Affaires étrangères anglais, qui
le convoque le 17 janvier 1943 à midi au Foreign Office pour une « communication
hautement confidentielle » ?
Eden paraît gêné, lançant des coups d’œil à sir Alexander
Cadogan, qui l’assiste, expliquant que le Premier ministre et le Président
Roosevelt sont au Maroc depuis quatre jours.
Puis il tend un télégramme de Churchill. De Gaulle lit en
silence.
« Je serais heureux que vous veniez me rejoindre ici
par le premier avion disponible – que nous fournirons. J’ai en effet la
possibilité d’organiser un entretien entre vous et Giraud dans des conditions
de discrétion complète… »
De Gaulle regarde Eden. Il ne lui remettra sa réponse qu’après
réflexion, dit-il. Qui invite ? Churchill seulement, ou bien le Premier
ministre et le président des États-Unis ?
Veut-on qu’il soit le « poulain » des Britanniques
parce que Giraud est celui des Américains ? Est-ce ainsi que l’on traite
la France ? Dans un territoire sous souveraineté française ?
À 17 heures, il est de retour au Foreign Office. Il lit
à Eden sa réponse à Churchill.
« Votre message est pour moi assez inattendu… Je
rencontrerais volontiers Giraud en territoire français où il le voudra et dès
qu’il le souhaitera… mais l’atmosphère d’un très haut aréopage allié autour de
conversations Giraud-de Gaulle et d’autre part les conditions soudaines dans
lesquelles ces conversations me sont proposées ne me paraissent pas les
meilleures pour un accord efficace. »
Il lève la tête. Eden paraît accablé. Sans doute Churchill
a-t-il affirmé à Roosevelt qu’il convoquerait son « coq » puisque
Roosevelt a le sien. Car Giraud, naturellement, a obtempéré. Le Premier
ministre doit craindre de perdre la face devant le président des États-Unis. Il
va donc réagir avec violence.
« Des entretiens simples et directs entre chefs
français seraient, à mon avis, poursuit de Gaulle, les plus propres à ménager
un arrangement vraiment utile. »
Il va à nouveau télégraphier à Giraud qu’il est prêt à le « rencontrer
en territoire français entre Français ».
Que veulent les Alliés ? interroge-t-il. Une « collaboration » ?
Un nouveau « Montoire » à leur profit ?
Il sort du Foreign Office en compagnie de son aide de camp, le
capitaine Teyssot.
« Ils essaieront de me mêler à leur boue et leurs
saletés en Afrique du Nord, dit-il. Ils veulent me faire avaler Vichy : il
n’y a rien à faire, je ne marcherai pas. »
Il va quitter Londres demain, se rendre auprès des Forces
navales Françaises Libres à Weymouth.
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