1943-Le souffle de la victoire
traverse de trois longues enjambées. Roosevelt, vêtu
d’un costume blanc, est à demi étendu sur un vaste canapé qui occupe tout le
fond de la pièce. Il ouvre les bras pour accueillir de Gaulle.
« Je suis sûr que nous parviendrons à aider votre grand
pays à renouer avec son destin, dit-il.
— Je suis heureux de vous l’entendre dire », répond
de Gaulle.
Il s’est assis près du Président. Il distingue des
silhouettes derrière le rideau au-dessus de la galerie du living-room. Il lui
semble même que ces hommes, sans doute les membres du service de protection, sont
armés.
On le tient en joue, comme si l’on craignait qu’il n’agresse
Roosevelt !
« Les nations alliées, reprend Roosevelt, exercent en
quelque sorte un mandat politique pour le compte du peuple français. »
De Gaulle le dévisage. Roosevelt sourit, prononce quelques
phrases aimables. Il veut séduire. Se rend-il compte qu’il « assimile la
France à un enfant en bas âge qui a absolument besoin d’un tuteur » ?
« La volonté nationale a déjà fixé son choix », dit
de Gaulle.
L’entretien est terminé.
De Gaulle rentre à pas lents avec Boislambert. Il fait beau.
La vue est vaste et calme. De Gaulle s’assoit quelques instants sur un banc.
« Il faut, dit-il à Boislambert, que vous franchissiez secrètement le réseau
de barbelés et apportiez une lettre au commandant Touchon. »
Cet officier a été élève de De Gaulle à Saint-Cyr et il
réside à Casablanca.
Dans la nuit, d’une tiédeur exceptionnelle pour ce 23 janvier
1943, de Gaulle écrit :
« Mon cher ami,
« Comme vous vous en doutez, je me trouve ici depuis
hier, attiré par l’aréopage anglo-américain qui s’est enfermé dans cette
enceinte… Il s’agit d’obliger la France Combattante à se subordonner au général
Giraud… Le désir des Américains… vise à maintenir Vichy pour le ramener dans la
victoire… et établir un pouvoir français qui ne tienne que grâce à eux et n’ait
par conséquent rien à leur refuser… J’ai vu le général Giraud… dans l’ambiance
qu’ils ont créée ici pour la circonstance et qui rappelle celle de
Berchtesgaden. Giraud me fait l’effet d’un revenant de 1939… Je crains qu’on ne
le manœuvre aisément en pesant sur sa vanité… Je n’accepterai certainement pas
la combinaison américaine… Dans l’hypothèse extrême d’une rupture, Washington
et Londres présenteront les choses à leur manière, c’est-à-dire en m’accablant.
J’aurai alors peu de moyens d’informer la France et l’Empire. C’est pourquoi je
vous écris cette lettre en vous demandant d’en faire et d’en faire faire état
le plus publiquement possible si les choses se gâtaient tout à fait… Les bons
Français d’Afrique du Nord pourront voir ainsi que je ne les aurai pas trahis. »
Il confie la lettre à Boislambert. Il se sent mieux. Demain,
il verra Giraud.
Pénible discussion. Il montre à Giraud la déclaration de
fidélité à Pétain que celui-ci a signée en 1942.
« C’est vrai, j’avais oublié », dit négligemment
Giraud.
Et pourtant, cet homme est un patriote. Mais il est
satisfait du plan anglo-américain : le triumvirat Giraud, de Gaulle, Georges,
où naturellement il jouerait le rôle principal.
De Gaulle dit d’une voix ironique :
« En somme, c’est le Consulat, à la discrétion de l’étranger.
Mais Bonaparte obtenait du peuple une approbation pour ainsi dire unanime… »
Il ne signera pas le communiqué que préparent le consul
américain, Robert Murphy, et l’Anglais MacMillan. Il ne se prêtera pas à cette « combinaison »
dictée par l’étranger.
« Mais, dit-il, j’accepterai de revoir le Président et
le Premier ministre. »
Dès les premiers mots, le 24 janvier, il mesure la
véhémence de Churchill. Il reste impassible.
« Je vous accuserai publiquement d’avoir empêché l’entente
avec Giraud, tempête Churchill. Je dresserai contre votre personne l’opinion de
mon pays et j’en appellerai à celle de la France. Je vous dénoncerai aux
Communes et à la radio. »
De Gaulle le toise.
« Libre à vous de vous déshonorer », dit-il.
Maintenant, il faut voir Roosevelt, refuser encore, malgré
le ton énergique du Président, qui tout à coup se calme.
« Dans les affaires humaines, il faut offrir du drame
au public, dit Roosevelt.
— Laissez-moi faire, dit de Gaulle, il y aura un
communiqué, bien
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