1943-Le souffle de la victoire
que ça ne puisse être le vôtre. »
Ce sont les derniers moments de la conférence. Churchill
arrive en même temps qu’une foule de chefs militaires et de fonctionnaires
alliés qui se rassemblent autour de Roosevelt.
Churchill est rouge de colère. De Gaulle le voit s’avancer, l’index
levé. Churchill crie en français :
« Mon général, il ne faut pas obstacler la guerre ! »
Pourquoi répondre ?
De Gaulle lui tourne le dos. Roosevelt est aimable, souriant.
« Accepteriez-vous tout au moins, dit-il, d’être
photographié à mes côtés et aux côtés du Premier ministre britannique en même
temps que Giraud ?
— Bien volontiers, car j’ai la plus haute estime pour
ce grand soldat.
— Iriez-vous jusqu’à serrer la main du général Giraud
en notre présence et sous l’objectif ?
— I shall do that for you. »
On sort dans le jardin. On installe des fauteuils. On porte
Roosevelt, qui sourit, la tête levée.
Churchill, le chapeau enfoncé jusqu’aux sourcils, mâchonne
son cigare, s’efforce lui aussi de sourire. Comédie.
De Gaulle serre la main de Giraud à l’invitation de
Roosevelt, puis recommence à la demande des photographes.
L’essentiel est d’avoir su dire non.
Il reste, pour conclure la pièce, à rédiger un texte anodin.
De Gaulle l’écrit, mais Giraud récuse l’expression « libertés
démocratiques ».
Il marmonne : « Vous y croyez, vous ? »
Il propose « libertés humaines ». Va pour ces
mots-là. Le texte est enfin rendu public.
« Nous nous sommes vus. Nous avons causé. Nous avons
constaté notre accord complet sur le but à atteindre, qui est la libération de
la France et le triomphe des libertés humaines par la défaite totale de l’ennemi. »
De Gaulle va et vient dans le jardin de la villa.
Il a demandé qu’on lui procure un avion pour se rendre
auprès des troupes de Leclerc. La réponse tombe, sèche. Le seul appareil
disponible pour quitter le Maroc est britannique et il a Londres pour
destination.
C’est un premier signe. De Gaulle sait que Londres et
Washington vont désormais entraver chacune de ses initiatives.
On lui rapporte déjà que Roosevelt raconte aux journalistes
que de Gaulle lui a déclaré : « Je suis Clemenceau, je suis Jeanne d’Arc,
je suis Colbert et je suis Louis XIV. »
On veut l’atteindre, le ridiculiser.
Alors, en cette fin janvier 1943, au moment où les Russes
remportent la victoire de Stalingrad, où il est évident que la guerre est à
terme gagnée, ce sont peut-être les jours les plus difficiles qui commencent
pour la France Combattante.
Mais il se battra. Et la France l’emportera.
Rentré à Londres, de Gaulle, assis à son bureau de Carlton
Gardens, parcourt les premières pages des journaux. Les photos de la conférence
d’Anfa couvrent plusieurs colonnes des quotidiens américains parvenus avec
quelques jours de retard à Londres.
Humiliation, colère, révolte.
La mise en scène photographique laborieuse dans les jardins
marocains est devenue le symbole des prétentions et de la victoire américaines.
Roosevelt, souriant, assis, paternel, est le maître qui oblige les deux
généraux français à se réconcilier, tels deux garnements que l’on tire par l’oreille.
Churchill, bougon, est à droite de la photographie, comme s’il était las d’avoir
tenté, en vain, de rapprocher deux personnages insupportables, si ridicules, si
démodés dans leurs uniformes d’un autre âge !
Voilà l’image que l’on veut donner de la France !
Il lit quelques lignes des correspondances des envoyés
spéciaux. Les journalistes rapportent les bons mots de Roosevelt sur la « capricieuse
lady de Gaulle », Jeanne d’Arc ! Le Président a dit à Churchill :
« J’ai amené le marié – Giraud –, où donc est
la mariée ? »
Et comme de Gaulle se faisait attendre, le Président a
poursuivi :
« Qui paie la nourriture de De Gaulle ?
— Eh bien, c’est nous, a répondu Churchill.
— Pourquoi ne pas lui couper les vivres ? Il
viendra peut-être », a renchéri Roosevelt.
« La mariée est venue », conclut l’article.
De Gaulle a besoin de se calmer. Il se lève, fume devant la
fenêtre. Londres est écrasé sous des nuages bas. Il se sent enfermé dans cette
ville. La France Combattante est devenue trop grande pour y demeurer, entravée,
calomniée. Car, avec les matières premières et les produits
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