1943-Le souffle de la victoire
alimentaires venus
d’Afrique, elle n’est plus dépendante des crédits de l’Angleterre. Mais on la
tient pourtant serrée au cou. On veut la contraindre, l’étouffer.
Il convoque son aide de camp. Voilà des jours déjà qu’il a
demandé au gouvernement britannique un avion afin de se rendre au Caire. Il
veut inspecter les troupes qui combattent aux côtés de la 8 e armée
britannique au sud de la Tunisie. Aucune réponse ? Il faut donc attendre.
Il s’assied, découvre les journaux venus d’Afrique du Nord. Ils
publient les mêmes photos, mais on n’y voit que Giraud ! De Gaulle a
disparu des clichés. Effacé de l’Histoire, avec la France Combattante. Voilà l’intention.
Il faut alerter tous les compagnons, écrire au général Leclerc et au gouverneur
général Éboué. Il faut que tous sachent quel est l’enjeu : « Nous
faire disparaître dans un système local africain… En outre, la chose française
serait, comme Giraud lui-même, à la discrétion des Américains. »
Tout cela est si évident ! Et pourtant, ici même, à
Carlton Gardens, de Gaulle perçoit chez certains des commissaires nationaux –
ainsi René Massigli, un ambassadeur qu’il a nommé aux Affaires étrangères –,
dans ce milieu français de Londres, André Labarthe, Muselier, Raymond Aron, les
journalistes et certains des hommes politiques venus de France – ainsi le
socialiste Félix Gouin – des réticences ou même une opposition. Massigli
et, à Alger, le général Catroux sont pour la réconciliation. Et les autres, pour
soutenir Giraud afin qu’il les débarrasse de De Gaulle, alimentent en ragots, en
calomnies les services de l’ambassade américaine à Londres. De Gaulle n’est qu’un
Bonaparte, susurre Raymond Aron. Il a exigé, dit-on, un serment d’allégeance
personnelle, comme le fait le Führer pour ses fidèles, et le BCRA (Bureau
Central de Renseignements et d’Action) agit comme la Gestapo, enlève, torture. Le
service secret de la France Combattante serait un repaire de cagoulards ! Et
le Tout-Londres politique bruisse de ces rumeurs, des propos de Churchill qui
se dit « écœuré par le général de Gaulle ». Le Premier ministre
répète qu’il a pris soin de De Gaulle « un peu comme on élève un jeune
chien… qui mord maintenant la main qui l’a nourri ». « Tout en
affectant des sympathies communistes, assure-t-il, de Gaulle a des tendances
fascistes ! »
Supporter tout cela.
Heureusement, il y a les Français qui se battent. Et ces
ralliements de plus en plus nombreux. Des marins par centaines – ceux du
cuirassé Richelieu , de paquebots, de cargos, d’avisos – qui
quittent le bord, à New York ou dans les ports d’Écosse, qui refusent d’être au
service des autorités d’Alger et demandent à s’engager dans la France
Combattante. Ils télégraphient : « Dès que vous en aurez donné l’ordre,
la marque à croix de Lorraine sera hissée sur ce bâtiment. »
Et les autorités américaines emprisonnent ces marins, dénoncent
la propagande gaulliste ! Et les Anglais hésitent à les accueillir !
Il faut tenir. Tout le visage de De Gaulle exprime la
volonté. Il dit, les dents à demi serrées :
« Restons fermes. Marchons droit. Vous verrez qu’on
reconnaîtra que nous fûmes les plus habiles parce que nous fûmes les plus simples. »
Mais jamais, depuis juin 1940, il n’a ressenti une telle
pression. Il se souvient des semaines qui ont suivi Mers el-Kébir ou l’échec de
Dakar, ou il y a quelques mois seulement le débarquement en Afrique du Nord. Chaque
fois, la tempête était forte. Maintenant, c’est le cap Horn. Si la France
Combattante le double, si Giraud la rallie, alors plus rien ne pourra empêcher
le navire d’aller jusqu’à la victoire.
Mais pas d’union avec Giraud à n’importe quel prix. Pas de
compromis avec l’« idéologie de Vichy ».
Il faut marteler à Catroux, qui se trouve à Alger, qui
négocie avec Giraud, cette exigence.
« Nous n’entendons pas nous présenter en Afrique du
Nord autrement que nous ne sommes… Le pays se fait de nous une certaine
conception et met en nous une certaine confiance, non seulement pour le présent
mais aussi pour l’avenir. Nous n’avons pas le droit de le priver nous-mêmes de
cette foi et de cette espérance. »
Il hausse les épaules, il a un mouvement d’impatience.
« Ce n’est pas notre faute si la France est en crise
politique et
Weitere Kostenlose Bücher