1943-Le souffle de la victoire
américaine, une lourde
Packard, aux vitres teintées.
Il a pensé à son fils Yakov, fait prisonnier par les nazis.
Le comte Bernadotte, émissaire de la Croix-Rouge, a proposé
d’échanger le fils de Staline contre le maréchal Paulus.
« La guerre, c’est la guerre, a dit Staline à sa fille
Svetlana, avant de refuser toute tractation avec les Allemands. Si je fais cet
échange, je cesse d’être Staline, confie-t-il. Que diraient les millions de
pères de famille appartenant au Parti et dont les enfants sont prisonniers ?
Je les considère tous comme mes fils. »
Yakov s’est suicidé en se jetant contre les barbelés du camp
où il est retenu, dans la région de Lübeck.
« Ça, c’est un homme, un vrai, courageux jusqu’au bout.
Le destin a été injuste avec lui », a murmuré Staline d’une voix sourde.
Et ce fut là l’oraison funèbre de son fils.
On a informé Hitler du suicide de Yakov Staline. Le Führer
est resté un long moment silencieux, puis il a eu un hochement de tête, a
invité Goebbels à poursuivre.
Or Goebbels, en cet automne 1943, est décidé à évoquer avec
le Führer l’hypothèse d’une paix séparée.
Il dit que Staline est un révolutionnaire, au caractère
trempé. Ne l’a-t-il pas montré en 1939, en signant un pacte de non-agression
avec le Reich, puis en prenant les mesures les plus strictes pour colmater les
brèches ouvertes par l’offensive allemande de l’été 1941 ?
Ni Moscou, ni Leningrad, ni Stalingrad n’ont ouvert leurs
portes comme l’a fait Paris !
« La question commence à se poser de savoir de quel
côté nous devrions nous tourner en premier, poursuit Goebbels. Les Moscovites
ou les Anglo-Américains ! D’une manière ou d’une autre, nous devons
comprendre qu’il sera très difficile de faire la guerre avec succès des deux
côtés à la fois ! »
Goebbels s’interrompt. A-t-il été trop loin ? La colère
du Führer va-t-elle se déchaîner ?
Mais Hitler demeure calme, avouant son inquiétude devant le
risque d’ouverture d’un second front, à l’Ouest.
« Ce qui est déprimant, dit-il, c’est que nous n’avons
pas la moindre idée des réserves dont dispose encore Staline. Je doute fort que,
dans ces conditions, nous soyons en mesure d’enlever de l’Est des divisions
pour les envoyer sur les autres théâtres d’opérations en Europe. »
Goebbels s’obstine.
« On ne peut donc gagner la guerre en combattant sur
deux fronts, reprend-il. Ne devrait-on pas tenter quelque chose du côté de
Staline ?
— Le moment n’est pas venu, répond le Führer. De toute
façon, il serait plus facile de conclure un accord avec les Anglais qu’avec les
Soviets. À un moment donné, les Anglais vont retrouver leurs esprits. »
Goebbels imagine les Anglais prenant conscience du risque
que représenterait pour eux une Europe bolchevique. Et dès lors devenant
accommodants à l’égard du national-socialisme.
Puis Goebbels s’interrompt :
« Je suis cependant plus tenté de croire que Staline
sera plus facile à approcher, car c’est un révolutionnaire à l’esprit plus
pratique que Churchill. Churchill est un aventurier romanesque avec lequel on
ne peut parler raisonnablement. »
Le Führer se lève. Les mains croisées derrière le dos, il va
et vient, soliloque.
« Le Führer ne croit pas que l’on puisse aboutir
actuellement à quelque chose par des négociations, note Goebbels dans son Journal. L’Angleterre, dit-il, n’est pas encore assez assommée… À l’Est, de toute
évidence, le moment est fort mal choisi… Staline possède actuellement l’avantage. »
Le Führer a prononcé les derniers mots avec une fureur
contenue.
Il serre les poings, le corps penché en avant, le visage
parcouru de tics.
« Il faut éliminer tous ceux qui doutent, dit-il, être
impitoyable, tuer dans l’œuf toute tentative de subversion, toute ébauche de
conspiration.
« Le national-socialisme n’est pas cette construction
en carton-pâte qu’était le fascisme. Et le Führer n’est pas ce Duce qui n’a
même pas le courage de se venger. Ce qui s’est passé à Rome, en Italie, ne peut,
ne doit pas arriver en Allemagne. »
Il faut des hommes décidés, sans retenue, ni remords. Et c’est
pourquoi le Führer a choisi de nommer, en cette année 1943 – le 20 août –,
Himmler, ministre de l’intérieur.
« Totalkrieg », répète le Führer et
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