1944-1945-Le triomphe de la liberte
la
guerre ».
Il pose pour les photographes, blotti dans sa cape, assis
entre le rubicond Churchill et l’énigmatique Staline.
Et Churchill comme Roosevelt doivent bien prendre en compte
la réalité militaire qui modèle les rapports de force entre Churchill et
Roosevelt d’un côté et Staline de l’autre. Edward Stettinius, conseiller de
Roosevelt, écrit ainsi :
« Étant donné la situation militaire de février 1945,
il ne s’agissait pas de ce que l’Angleterre et les États-Unis permettraient aux
Russes de faire en Pologne, mais de ce que ces deux nations pourraient faire
accepter à l’Union soviétique… Nos troupes avaient à peine recouvré le terrain
perdu dans la bataille des Ardennes, elles n’avaient franchi le Rhin qu’en
quelques points. En Italie, notre avance s’enlisait dans les Apennins. Au
contraire, les troupes soviétiques, après avoir envahi presque toute la Pologne
et la Prusse-Orientale, avaient atteint l’Oder. La Pologne et la plupart de
l’Europe orientale, à l’exception d’une grande partie de la Tchécoslovaquie,
étaient aux mains de l’armée Rouge. »
À Yalta, Staline, fort de la situation militaire, peut donc
faire des concessions dont il sait bien que personne ne viendra, dans cette
Europe centrale occupée par l’armée Rouge lui demander raison de leur
non-application.
Il loge dans l’immense palais du prince Youssoupov. Il se
rend, escorté par une centaine de membres du NKVD, à la résidence de Churchill,
le palais du prince Vorontsov, il visite Roosevelt au palais Livadia.
Il préside les banquets somptueux dans Yalta que les
services de la police secrète dirigés par Beria ont vidé de sa population.
Staline, facétieux et cynique, dit, montrant Beria :
« Lui, c’est notre Himmler ! »
Tous les convives étrangers regardent Beria ; petit,
gros, et les verres épais de son pince-nez lui donnent « un air sinistre
mais diaboliquement intelligent ».
Qui saura que Beria est un obsédé sexuel, qu’on soupçonne
d’enlever dans les rues de Moscou de très jeunes filles qu’il repère en
circulant lentement dans sa voiture aux vitres opaques ?
Staline, durant ces dîners dans les palais de Yalta,
apparaît, selon le général anglais Alan Brooke, « au mieux de sa forme,
drôle et de très bonne humeur ».
Il se dépeint comme un « vieux bavard naïf »,
multiplie les toasts aux alliés, aux généraux « que l’on apprécie
seulement pendant la guerre, mais après la bataille leur prestige s’éteint et
les femmes ne les regardent plus ».
Quand Churchill suggère que « nous pourrions nous faire
un allié du pape », Staline sourit, répond :
« On mène une guerre avec des soldats, des canons et
des tanks. Le pape, combien de divisions ? S’il nous le dit, il pourra
peut-être devenir notre allié. »
Mais ces reparties ne sont qu’un leurre. Dès qu’il s’agit de
négocier, Staline argumente âprement.
Sur le sort de la Pologne, il ne cède rien.
Il obtient, en échange de la promesse d’entrée en guerre
contre le Japon, l’île de Sakhaline – perdue par la Russie en 1904 –
et les îles Kouriles.
Après cela, il peut se lever et porter un toast chaleureux
et admiratif à Churchill :
« Un homme comme vous ne naît que tous les cent ans,
dit-il. Voici un homme qui a brandi bien haut et avec courage la bannière de
l’Angleterre ! Je parle du fond du cœur et vous dis ce que je ressens au
plus profond de moi-même ! »
Évoquant les élections prochaines en Angleterre, il se dit
assuré que Churchill les remporterait.
« Le vainqueur de la guerre n’est-il pas le mieux placé
pour diriger son pays ? »
À Churchill qui lui rappelle qu’il y a deux partis
politiques en Grande-Bretagne, Staline secoue la tête :
« Un seul parti, c’est beaucoup mieux »,
murmure-t-il.
Churchill, dans les semaines qui suivent la conférence de
Yalta, constate que c’est ce système – parti unique de fait, violences
contre ceux qui tentent de résister aux communistes – qui se met en place
en Europe de l’Est, mais que peut-il ?
Il essaie d’obtenir un changement de plan d’Eisenhower, à
propos de Berlin, mais le commandant en chef s’obstine à vouloir laisser les
Russes conquérir la capitale du Reich.
Quant à Roosevelt, il répond à Churchill le
11 avril :
« Je suis enclin à minimiser autant que possible
l’ensemble des problèmes
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