22 novembre 1963
bien être les rapports de Marie avec cet homme, et il n’y parvenait pas.
Il fit donc le voyage à Linnières en compagnie d’Herbert. Celui-ci était d’excellente humeur. Il venait d’obtenir la tutelle de son jeune neveu Garnier de Buchie. « De cette façon, disait-il, je tiens en main Buchie, Bercenay, Hervi et Linnières, et Puiseaux dépend pour ainsi dire de moi, car Joceran sera trop content que je fasse réparer ses routes et garder ses fermes, et j’ai ainsi le contrôle de toutes les routes qui longent la forêt d’Othe. Je suis en pourparlers avec un capitaine d’archers suisse qui se met à ma disposition dès Noël avec cent hommes à pied dont vingt arbalétriers.
— Quoi, dit Haguenier, vous comptez partir en guerre ?.
— Je n’en sais rien, fils. Il se peut bien aussi qu’il y ait guerre d’ici peu, et contre vos amis les Anglais. Il se pourrait bien qu’on nous fasse aller en Île-de-France, et même plus loin. Mais de cela Dieu nous garde pour le moment, car j’y perdrais plus d’argent que je n’en ai dépensé pour ton adoubement. Moi, voilà mon idée : je fais une route qui passera par Puiseaux et par Hervi et qui traversera la forêt de Linnières et qui descendra sur Tonnerre tout droit, et pour les gens qui viennent de Bar, et de Chaource, et de Saint-Florentin, ce sera la meilleure et la plus courte ; et je la fais garder par mes archers. Tu verras si les gros marchands qui viennent de Bourgogne et du Midi n’y passeront pas aussi. D’ici un an, j’aurai gagné en droits de passage ce que j’aurai dépensé pour la construction.
— Allons donc, les péagers du comte ne vous laisseront pas faire.
— Moi ? dit Herbert, tu ne me connais pas, je les achèterai tous. Ce seront les marchands qui en feront les frais. »
Herbert exposait à son fils des projets pour au moins dix ans à l’avance : il ferait construire une église à côté du château, fortifier Hervi. Là, il en était sûr, tous les seigneurs des environs lui enverraient leurs fils en service et voudraient tenir leurs terres de lui. De plus il ferait un contrat avec la commune de Chaource pour lui fournir des soldats, et ainsi il aurait à peu de frais les maçons et les menuisiers de la ville. Il saurait se tailler un fief qui compterait parmi les premiers du comté. « Toi, disait-il, si tu as un fils, je m’arrangerai pour le fiancer avec la fille du vicomte de Bar-sur-Aube, elle a trois ou quatre ans, je crois, nous célébrerons les fiançailles à Pâques, et je verrai bien si le père osera rompre l’engagement. Dans ce cas, on tiendra la moitié des terres de Troyes à Bar-sur-Aube.
— Fort bien, dit Haguenier en souriant, et si j’ai une fille ? »
Herbert devint rouge de contrariété. « N’en parle pas, n’en parle pas, fils de chienne ! C’est un fils qu’il me faut et mes dispositions sont déjà prises. D’ailleurs, toutes les sages-femmes disent que ce sera un garçon. »
Haguenier demanda à son père des nouvelles d’Ernaut, et apprit que son frère était parti pour Rome, demander une dispense pour son mariage avec Ida de Puiseaux.
« Enfin ! s’écria Haguenier, tout joyeux, Joceran consent donc ? »
Herbert fronça les sourcils d’un air embarrassé, « Hé ! Justement, ce n’est pas si simple que tu crois. Il a dit : « Qu’il obtienne la dispense, alors nous pourrons réfléchir. » Je lui ai fait signer une demande en règle, mais il s’en est ensuite dédit devant témoins, disant qu’il voulait laisser sa fille libre de choisir. Tout ce qu’il a promis, c’est de n’engager sa fille à personne d’autre avant le retour d’Ernaut. Autrement Ernaut ne serait jamais parti. »
Haguenier se rendit droit à Villemor, rendre visite à sa femme. Celle-ci était couchée dans son lit et cousait des langes. Elle accueillait son mari avec un sourire fatigué, elle avait maigri, son nez s’était encore allongé, sa figure brune était couverte de taches. « Vous avez appris la bonne nouvelle par votre père ? Il en maigrit d’impatience. » Elle avait une lueur moqueuse dans les yeux. Haguenier lui souhaita une heureuse délivrance.
« Grand merci. Vous êtes bien courtois. Veuillez m’excuser de ne pas vous recevoir moi-même comme il faut, mais je me sens vraiment lasse. Je crois que je deviens trop vieille pour ce métier-là. »
Isabeau supportait très mal sa grossesse, elle souffrait beaucoup, elle était devenue
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