22 novembre 1963
faire honneur elle avait fait parer de fleurs son baldaquin rouge et avait appelé près d’elle deux demoiselles de ses parentes. Elle avait tressé de ses mains une couronne d’une beauté rare, car elle y était très habile : jacinthes, églantines, primevères jaunes et marguerites s’y entremêlaient, placées suivant un dessin régulier, si nombreuses qu’on ne voyait plus la verdure. Quand Haguenier vint plier le genou devant elle, elle lui posa sur la tête la couronne en lui disant : « Seigneur chevalier, recevez maintenant le prix de votre valeur. Vous avez bien servi l’amour, et c’est lui qui vous couronne par mes mains. »
Alors il la saisit dans ses bras et l’embrassa sur la bouche et sur les yeux.
« Oh ! belle chose douce, dit-il, oh ! trésor de pureté, si vous me dites de recommencer je le ferai demain même ou aujourd’hui. J’irai provoquer les plus vaillants chevaliers du pays sans écu ni haubert, si vous voulez.
— Non, dit Marie en se dégageant de ses bras. Aujourd’hui je ne vous le demande pas. Venez, que ces demoiselles aussi vous accordent un baiser de courtoisie, et après je vous montrerai les nouvelles fleurs que j’ai fait planter. »
Les demoiselles restèrent près du puits, et les deux amants se trouvèrent seuls entre des taillis de lilas et d’aubépines. Alors Haguenier se mit à genoux, et prit les deux mains de la dame pour les porter à son front. Elle les dégagea et lui fit relever la tête. Et elle le regarda longuement.
Il avait presque perdu sa beauté, il avait le visage légèrement bouffi, les paupières enflées, la bouche bleuâtre. Mais dans ses yeux, il y avait une telle adoration que Marie ne vit plus le reste. Elle se pencha vers lui, et il leva les bras vers son visage, et lui prit la tête, et ils restèrent ainsi, serrés l’un contre l’autre, sans rien dire. Et elle lui donna un long baiser sur la bouche.
Pour lui, ce fut comme s’il recevait la communion.
Dans ce jardin en fleurs, avec cette lourde couronne de fleurs sur la tête, et Marie seule devant lui – il était comme un bienheureux qui est enfin entré an paradis après les épreuves terrestres. Mais ce paradis-là n’avait rien d’éternel et il le goûtait avec une joie d’autant plus poignante.
Marie l’entraîna vers un massif où étaient plantés des soucis, des pensées et des giroflées roses. Derrière ce massif s’élevait un pan de mur assez bas, par-dessus lequel on pouvait voir le mur extérieur du château et la vallée de la Seine.
« Dans ce jardin, autrefois, dit Marie, je vous avais fait venir la nuit pour vous accorder une entrevue de courtoisie. Mais maintenant que vous vous êtes fait mon vassal et le serviteur d’Amour, je ne peux plus vous accorder les mêmes privilèges ; peut-être le ferai-je quand je vous aurai assez éprouvé pour vous donner mon amour. Maintenant, je vais vous demander d’aller vivre deux semaines dans votre pays, chez vos parents, et de ne pas chercher à me voir ni de m’envoyer de messagers. Je ne vous demande rien d’autre pour le moment.
— Je ferai comme vous voulez, amie », dit Haguenier, s’efforçant de prendre un air calme et souriant. C’était cruel, pourtant. Pendant quelques jours encore, au moins, elle eût pu accepter de le voir, lui donner le temps de respirer après ces mois d’enfer. Depuis une demi-heure à peine, il la voyait et son cœur avait déjà eu le temps de s’installer dans ce bonheur comme si elle était sa femme pour toujours, et il n’imaginait plus la vie sans elle.
Il partit avant vêpres et retourna à Pouilli pour faire ses bagages.
Et Marie, restée seule au jardin avec ses demoiselles, cueillit un bouquet de soucis et les mit dans son corsage, car elle se sentait le cœur plein de souci.« Ces fleurs ont la couleur de feu de la jalousie, pensait-elle, car en amour souci et jalousie ne font qu’un. Voilà que je l’ai fait partir pour ne pas lui laisser voir combien je tiens à lui ; mais il va peut-être chercher à se distraire de son ennui avec des femmes frivoles, car c’est ainsi qu’on dit que font les hommes. Puisqu’il ne peut pas m’avoir pour maîtresse, il se croira le droit d’en chercher d’autres, et je n’en saurai même rien. Et du reste, il a sa femme dans son pays, et il croira pouvoir m’être infidèle sans commettre de péché. Pourtant, la chasteté n’est-elle pas le premier devoir d’un amant ? S’il y manque, je
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