22 novembre 1963
ce monde sont une chose et le service de Dieu une autre. Je ne suis pas duc ni roi, et je n’irais pas me mettre une couronne sur la tête, même si j’en avais les moyens. Mais pour prier Dieu je vaux autant que roi et qu’empereur et j’ai autant besoin qu’eux de voir des images saintes devant moi quand je prie. Ma chapelle n’est pas grande, mais je la veux aussi belle qu’un oratoire de comte.
— Ce ne serait pas bien séant, dit l’autre, les voûtes se prêtent mal à ce que vous voulez faire.
— Hé ! Vous ferez les figures plus allongées, et plus petites en proportion. L’essentiel est qu’elles y soient toutes. Vous ferez venir votre peintre, il saura bien arranger cela . Je veux qu’il n’y ait pas un pouce ici qui ne soit peint.
— Tout cela va vous entraîner à des frais dont vous ne sortirez plus, et vous serez forcé de le laisser inachevé. Rien que pour percer les fenêtres, avec ce mur gros comme celui d’une tour d’enceinte, il y a pour des semaines de travail. »
À ce moment Joceran de Puiseaux pénétra dans la cour encombrée de chaux et de poutres, et, sautant lestement de son petit cheval cagneux, s’approcha d’Herbert. « Dieu vous garde, cousin ! Toujours en train de construire la tour de Babel ? La vente des vins n’a pas dû être mauvaise, à ce que je vois.
— Beau cousin, salut. Vous faites trop d’honneur à mes vignes, je n’en ai pas retiré de quoi payer mes hommes.
— Je viens vous consulter pour une affaire de grande conséquence pour moi, beau cousin. Milon de Jeugni m’a fait une demande au sujet d’Ida, pour son fils.
— Ah ! ah ! dit Herbert, sans lever la tête, vous êtes un peu parents avec eux, à ce que je crois ?
— Sixième degré. Mais le parti n’est-il pas assez honorable ?
— Très. » Herbert traçait des lignes sur le sable avec la pointe de son couteau, pour montrer à l’architecte comment il voulait disposer les fresques.
« Qu’auriez-vous fait à ma place, beau cousin ? demanda Joceran.
— Je n’en sais rien, dit Herbert ; puis il n’y tint plus et se redressa, dominant Joceran de toute son énorme personne. Si je voulais, beau cousin, j’aurais pu empêcher ce mariage, je n’aurais qu’un mot à dire, Milon de Jeugni ne voudrait jamais m’avoir pour ennemi. Je n’aurais qu’un mot à dire.
— C’est de cela justement que je voulais vous parler, cousin. Est-il juste qu’Ida reste fille toute sa vie parce qu’on vous craint dans le pays ?
— Une dernière fois, cousin, pensez-y : il ne tient qu’à vous de me rendre un service que je n’oublierai de ma vie. Et par moi vous aurez des avantages que vous n’auriez par personne d’autre. Vous le savez bien. »
Joceran posa un instant sur Herbert son regard vif et fuyant.
« Et on dirait dans le pays que je me suis vendu à vous ? Pauvre ou non, j’ai le droit d’agir avec ma fille comme je veux.
— Il y a des gens qui se pendraient pour prouver qu’ils ont le droit de le faire. » Herbert baissa la voix. « Ce n’est pas bien chrétien, ce que vous voulez faire, cousin.
— Qui me le reprocherait ? demanda Joceran avec un petit sourire aigre. Dites-moi seulement en toute sincérité si je peux avoir les coudées franches dans cette affaire.
— C’est votre droit, dit Herbert avec effort. Mais sachez que s’il arrive malheur à mon fils je ne serai peut-être pas aussi patient que je le suis maintenant ! Vous êtes l’aîné de ma race, de la race du ventre dont je suis sorti. Par le respect que je dois à ma mère, je dois vous respecter. Je dois donc tout souffrir de vous. Mais sachez qu’il n’eût tenu qu’à moi de ne pas le faire. Si je damne mon fils pour vous, j’aurai commis un péché mortel, mais la faute en sera sur vous plus que sur moi.
» Et je sais bien, cousin, que c’est Ernaut qui a tort dans cette affaire et qu’il n’est pas juste de vouloir épouser une fille malgré elle et malgré ses parents. Mais à moi, son père, c’est bien difficile de reconnaître cela. Vous pouvez faire ce mariage, cousin, mais n’oubliez pas que c’est à moi que vous le devrez, car il ne m’eût rien coûté de l’empêcher. Et maintenant, allez, et ne m’invitez pas à la fête, car je ne viendrai pas. »
HAGUENIER : DEUXIÈME ÉPREUVE. LE PARADIS REFERMÉ
Trois jours après la Pentecôte, Haguenier fut reçu par la dame de Mongenost dans le petit jardin près du puits. Pour lui
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