22 novembre 1963
cloches du couvent leur répondait. Dans le ciel sans nuage, les hirondelles planaient haut, se rejoignant et se séparant, en un solennel ballet céleste que Dieu leur avait appris à la création du monde. Des champs gorgés de soleil, s’élevait le chant strident et saccadé des grillons.
Et pendant toute la fête, Haguenier ne pensa ni à ses soucis ni à Marie mais seulement à la joie de fêter la Mère de Dieu.
Dans le vacarme de la cour, assis par terre devant les longues tables basses, les pèlerins découvraient qu’ils avaient faim après le long jeûne et la nuit blanche, et dévoraient joyeusement le pain au fromage, le lard et les chaudes galettes de froment que leur servaient les sœurs converses vêtues de gros tabliers de bâche. Et les coupes de bière passaient de main en main, et des bruits de couteaux et de vaisselle s’échappaient des fenêtres ouvertes du réfectoire, mêlés à la voix monotone et traînante d’une sœur qui lisait le récit des miracles de la Vierge.
Haguenier fut tout surpris quand un jeune garçon le tira par la manche et lui dit : « J’ai un message pour vous. » Il reconnut aussitôt un petit page en service à Mongenost. « La dame vous fait dire qu’elle ira se promener en forêt demain, et qu’elle se reposera près de la source Sainte-Élodie. » L’enfant disparut en courant, et Haguenier se sentit réveillé brusquement, et presque déçu : à présent il allait falloir compter les heures, et se languir, et craindre, quand jusqu’ici tout avait été illuminé par la joie tranquille d’être uni dans la prière avec Marie, les hommes et les anges. Et son désir de voir Marie se mit à grandir jusqu’à la souffrance.
Il trouva la source Sainte-Élodie, et s’y installa dès le grand matin. Il y faisait encore frais. L’herbe autour de la source était verte et douce, des tapis de mousse épaisse et claire s’étendaient sous les sapins. Haguenier s’endormit profondément, et ne fut tiré de son sommeil que par des rires de femmes. Une jeune fille blonde vêtue de rose agitait devant son visage une branche de saule aux feuilles mouillées d’eau. Il rougit et se leva, laissant tomber sa cape de pèlerin.
Et alors il vit Marie droite et debout devant lui, avec une longue cape violet pourpre recouvrant une robe bleue, et une couronne de bleuets sur ses cheveux. « Où l’ai-je déjà vue ainsi ? » pensa-t-il.
Elle était souriante et d’humeur douce. Elle congédia la jeune servante, et ils restèrent seuls, si heureux de l’être enfin qu’ils ne savaient quoi dire. « Voyez, dit enfin Marie en riant, Mongenost n’a pas voulu que j’emmène Isabelle et il croit que Guillemine lui est fidèle ; mais elle est encore plus à ma dévotion que l’autre et je sais qu’elle ne lui racontera rien. »
Elle jeta sa cape par terre, et elle n’avait en dessous qu’une longue chemise d’un bleu vif et clair, et elle tira le cordon du col plissé, de telle façon que la chemise retomba, découvrant ses épaules et le haut de la poitrine. Haguenier restait bouche bée devant cette beauté qu’il n’avait jamais encore imaginée : elle lui paraissait si belle que c’en était effrayant, toute blanche et comme taillée dans de l’albâtre, et lumineuse et dorée, et le bleu de la couronne de bleuets et de la chemise, et la verdure de la forêt faisaient paraître sombre et éclatant le bleu de ses yeux.
Marie, gênée et fascinée à la fois par le regard d’admiration presque démente que son amoureux fixait sur elle, fit quelques pas vers la source, cueillit quelques brins d’herbe, puis vint s’asseoir sur sa cape. Elle était même si troublée qu’elle avait oublié toutes les paroles qu’elle avait préparées pour cette entrevue, et essayait de se les rappeler, mais en vain. « Eh bien, finit-elle par dire, est-ce la fée Viviane qui vous a enchanté, ami ? Avez-vous perdu la parole ?
— Ah ! laissez-moi, dit-il, je ne peux pas parler. Je crois que c’est la plus dure épreuve jusqu’ici. J’ai peur de vous.
— De moi, frère ? Mais je suis votre amie. Dieu me punisse si jamais je suis dure avec vous. Vous voyez vous-même quelle confiance j’ai en vous, puisque je reste seule avec vous ici ; ce serait plutôt à moi d’avoir peur de vous, si je vous croyais un amant vulgaire.
— Et que croyez-vous donc de moi ? Si vous voulez, je m’en irai.
— Ce ne serait guère courtois, dit-elle en
Weitere Kostenlose Bücher