22 novembre 1963
riant. Ami, venez près de moi ; Dieu m’est témoin, tout ce que l’honneur permet, je suis prête à vous l’accorder. » Alors il s’assit près d’elle et se mit à lui embrasser les épaules et la nuque, et elle se serrait contre lui et lui caressait le visage. Et puis elle comprit que les choses pouvaient aller trop loin, et qu’il se permettait des caresses offensant la pudeur. Rouge de honte, elle le repoussa, remit la cape sur ses épaules, se leva et alla s’appuyer le front contre le tronc d’un arbre, pour pleurer.
Haguenier avait déjà si bien oublié ce respect qui entourait pour lui comme d’une muraille le corps de Marie qu’il trouva tout naturel de la suivre, et de la reprendre dans ses bras, et de la serrer contre lui, et de la supplier et de l’embrasser encore, car dans sa pensée elle ne faisait plus qu’un avec lui. Mais Marie se sentait blessée dans son orgueil et sa pudeur, et ses joues étaient devenues d’un rouge vif, ce qui la rendait plus belle encore, et comme elle n’arrivait pas à se dégager des bras qui la tenaient, elle tira brusquement le couteau de chasse de la ceinture d’Haguenier et le brandit devant sa figure.
Alors il lâcha prise, et tordit le poignet qui tenait le couteau, et l’arme tomba par terre. Haguenier la ramassa et s’en alla sans dire un mot.
Il marcha quelque temps dans la forêt, tenant toujours le couteau dans la main. « Si j’étais resté je l’aurais tuée, pensait-il. Mais on ne peut pas la tuer, elle est un démon. » Il était certain à présent qu’elle le haïssait, et pourtant son cœur se déchirait d’amour pour elle, telle qu’il venait de la voir, les joues rouges, et les yeux noircis par la colère. Il ne pouvait plus la voir autrement, et la désirait pourtant, jusqu’à brûler d’envie de revenir, de la supplier, de la menacer – non, jamais plus, il se tuerait plutôt.
Il tomba sur la mousse, essaya de réfléchir, de se maîtriser. « N’ai-je pas promis d’accepter toutes les épreuves sans protester ? N’était-ce pas là une épreuve ? N’ai-je pas violé ma promesse ? Je l’ai brutalisée, je suis parti comme un goujat, elle aura le droit de dire que j’ai manqué à ma parole. Si j’avais agi autrement, elle eût cédé peut-être. »
Ah ! L’avoir ainsi traitée, lui, son vassal, et comment avait-il osé croire qu’elle ne l’aimait pas, et douter de ses paroles ? Il l’avait laissée seule, offensée, triste peut-être, et pleurant. Comment, Marie, sa dame à lui, être ainsi traitée par un homme ! Il se leva et se mit à courir vers la source. Peut-être était-elle encore là, et lui pardonnerait – si elle l’aimait elle était sûrement encore là.
Lorsqu’il arriva à la fontaine, il ne trouva plus personne. Sur sa cape de pèlerin jetée sur la mousse, il trouva un petit anneau d’herbes et deux bleuets. Il reprit le chemin du couvent, et là il apprit par la sœur tourière que la dame de Mongenost venait de partir, pour voir un oncle à elle qui habitait près de Provins.
« Elle m’a pardonné, se disait Haguenier, puisqu’elle m’a laissé cet anneau et ces deux fleurs. Mais elle ne veut pas que je la voie, les deux fleurs doivent signifier deux mois, à moins que ce ne soient deux semaines. Oui, deux semaines plutôt. Après, j’irai à Mongenost faire ma paix. » . D’ici là, que devenir ? Car après ce qui venait de se passer, il n’imaginait pas pouvoir vivre loin d’elle plus de trois jours.
Lentement il marchait sur la route sous le lourd soleil d’après-midi. Il se sentait très affaibli, et il avait même oublié d’acheter du pain. Il fallait faire quatre lieues jusqu’à l’auberge où il avait laissé son valet et son cheval. La route longeait la forêt et, de l’autre côté, s’étendaient les prés du couvent, fauchés une seconde fois et tout brûlés de soleil. Les pèlerins étaient restés au couvent pour deux jours encore, et il allait seul, perdu entre cette forêt silencieuse et ces prés déserts. C’était lendemain de fête, personne ne travaillait ni dans les champs ni dans les vignes. Et il se sentait seul au monde, exclu des fêtes et du repos ordonné par Dieu.
Ses jambes commençaient à lui faire mal, puis tout son corps devint douloureux. Arrivé au pied d’un crucifix à la croisée des chemins, il s’arrêta et tomba à genoux devant la croix.
« Ô Seigneur, Père, seul ami vrai. Je sais bien que
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