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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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nuit, et qu’il était en campagne, en Terre sainte, et que demain il se lèverait et mettrait son haubert, et verrait le soleil rouge au-dessus des tells – souvent il rêvassait ainsi, avant de s’endormir pour de bon, et là, là il voyait beaucoup de choses, il voyait son vieux camarade Thierri, mort en Palestine, qui lui disait : « Voyez, je ne suis pas mort, ils m’ont déterré » et montrait ses mains aux poignets presque détachés des bras à coups de hachette ; et Ansiau l’embrassait et disait : « Et moi, tu vois, je ne suis pas aveugle. » Et ils étaient bien contents tous les deux.
    Et Auberi était assis à côté d’Afrania, et regardait les longs nuages noirs sur le ciel blanc. Ces nuages étaient comme de longues îles sur un large fleuve de lait. Et les petites étoiles, lampes allumées par des anges, clignotaient, comme si les mains des anges tremblaient en les tenant. Et Afrania à côté de lui paraissait toute pâle et toute blanche, avec ses cheveux qui pendaient en mèches le long de sa figure et ses yeux très noirs. Si souvent il avait envie de prendre ses bras et de les caresser, comme on caresse les plumes d’un oiseau – surtout quand ils paraissaient blancs comme ce soir. Mais Afrania ne se laissait même pas toucher la main ou le bout des cheveux. « Afrania. » Elle tourna la tête vers lui. « Dis, pourquoi tu ne veux pas qu’on te touche ? »
    Elle répondit tranquillement : « Parce que tu es un diable. »
    Auberi sursauta sous l’insulte. Il eut envie de la gifler, mais se retint, parce qu’elle lui semblait si douce. « Oh ! Oh ! c’est trop fort. C’est toi qui es une diablesse parce que tu ne portes pas de croix. »
    Il croyait la blesser. Mais elle ne fit aucune attention à ses paroles.
    « Et le Grand Noir aussi est un diable, poursuivit-elle, rêveuse. Et le Riquet aussi. » Elle étendit la main vers le groupe des paysans endormis. « Et tous ceux-là aussi sont des diables. Tous les hommes sont des diables.
    — Dis donc ! Et toi, alors ?
    — Moi aussi, dit-elle, comme si elle répétait une leçon, je suis un diable. Tous ceux qui n’ont pas reçu l’Esprit. »
    Auberi se dit qu’elle était folle, et secoua par l’épaule le vieux qui sommeillait à deux pas de lui. « Mon seigneur, mon seigneur. Elle dit que nous sommes tous des diables. Elle est folle. »
    Le vieux se releva sur son coude. « Eh !Laisse-la dire.
    — Mais, poursuivait Auberi, indigné et inquiet, ce n’est pas vrai ! Dites-lui que ce n’est pas vrai ! » Le vieux ne répondit rien. Mais les paroles de l’enfant l’avaient troublé. Il finit par demander à la jeune fille :
    « Tu vois des diables, toi ?
    — Quand un homme meurt inconsolé, dit Afrania, placide, il y a un diable tout noir et cornu qui sort de sa bouche.
    — Tu l’as vu, toi ?
    — À la Cadière, quand ils ont tué les bonnes gens, il y a eu des diables noirs qui sont sortis de toutes les bouches, pas plus gros que des corbeaux. Et je les ai vus. Tout le monde a vu. Et les hommes qui portent la croix, ils ont le signe du diable sur le corps. »
    Bertrand, qui écoutait aussi, se dit que la fille devait être simple d’esprit pour dire tout haut de telles choses, mais il n’osa pas lui conseiller de se taire.
    Ansiau se recoucha, la tête dans les bras, et ne dit plus rien.
    Au matin, Riquet lui demanda à mi-voix s’il était bon de laisser aller avec eux une fille si visiblement. « mauvaise ». Le vieux était devenu très pâle tout d’un coup. « Laisse cela, Riquet, dit-il. Tu es trop jeune. Tu ne sais pas ce que le diable peut faire avec un petit enfant qui ne comprend rien. Il ne faut pas la blâmer. » Sa voix était si brisée que Riquet se dit que le vieux devait penser à quelqu’un d’autre qu’Afrania. Et il n’osa plus en parler.
    Quelques jours après, à dix lieues seulement de Castres, le diable se chargea lui-même de les débarrasser d’Afrania. Elle fut prise par des paysans avec une miche de pain dans sa jupe, et comme les fugitifs ne sont pas toujours tendres pour les « mauvais », et qu’elle paraissait suspecte, on voulut la forcer à se signer. Ce ne fut pas faute de bonne volonté mais elle ne savait pas le faire : elle avait si peur qu’elle l’eût fait.
    Alors elle fut attachée à un olivier, des hommes la frappèrent avec des fourches, des enfants lui jetèrent des pierres. Riquet était là qui regardait, dans

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