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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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comme il avait pitié, il se décida, et prit de l’eau dans sa main pour en verser sur le front de la mourante.
    Et comme il disait ses prières, Auberi le regardait, mains jointes, avec de grands yeux admiratifs et heureux ; il osait à peine respirer pour ne pas troubler la cérémonie. Et une fois le baptême achevé, il s’accrocha au coude de Riquet. « Comme ça elle ira au paradis, n’est-ce pas ? Riquet ! dis, regarde-la, comme elle devient plus belle, les diables sont sortis d’elle, maintenant. » La tête de la jeune fille se renversait lentement, et ses prunelles devenaient troubles. Sa figure, étrangement fine, se pétrifiait. Et Auberi cherchait encore des yeux une lueur dans les ronds yeux noirs et se sentait tout d’un coup pris de peur, et secouait la jeune fille par les épaules. « Afrania, fleurette, petit oiseau, petite sœur, ne t’en va pas ! » Elle gardait toujours ses yeux grands ouverts, de plus en plus troubles.
    Auberi la lâcha, porta les deux mains à sa bouche, puis se mit à sangloter tout haut, d’effroi, comme un petit enfant.
    Toute la nuit, les deux aveugles et Riquet creusèrent avec leurs couteaux une tombe dans le sable pour la nouvelle chrétienne Afrania, née en même temps pour l’Église et pour l’autre vie. Et le vieux pensait que la tombe ne serait pas profonde et que les vautours auraient vite fait de sentir le corps et les chiens vagabonds de le déterrer. Et il pensait qu’il eût aimé creuser de ses mains cette même tombe dans la glaise de Linnières pour l’autre enfant, la mauvaise, celle qui lui avait déchiré le cœur, Églantine la mal nommée, car c’est Épine qu’elle aurait dû s’appeler. Et Bertrand pensait : « Maudits, maudits, maudits, maudits, maudits. »
    Au petit jour le corps fut mis dans la tombe et Riquet dit les prières des morts, heureux de trouver une occasion d’utiliser son savoir. Et l’occasion ne fut pas perdue : Auberi, agenouillé à côté de la tombe, les paumes dévotement serrées l’une contre l’autre, faisait les répons, et buvait les paroles latines avec une tendresse admirative dans les yeux. Ses paupières étaient rouges et enflées, mais son maigre visage tout barbouillé de terre et de larmes mal essuyées reprenait déjà des couleurs fraîches.
III
VIEUX COMPAGNONS
    Toute la journée, il fallut errer dans la montagne. Il n’était pas facile de retrouver la route. On avait peur de monter vers la forêt, les paysans avaient parlé de vieux soldats affamés qui se cachaient en forêt et attrapaient les pèlerins pour les manger. Et au coucher du soleil, ils débouchèrent sur une vallée assez large, où s’était installée pour la nuit une troupe de croisés attardés. Castres semblait donc être plus loin que jamais.
    Sur la rive, des tentes dressées à la hâte, de lourdes charrettes de bagages, des feux à rôtir la viande étaient dispersés dans les buissons sur une étendue de deux cents pieds. Les soldats menaient à la rivière les chevaux et les mulets. Ce devait être une simple arrière-garde, ils ne devaient pas être plus de trois cents hommes, valets y compris. Sur la plus haute des tentes se dressait une bannière à croix surmontée d’une fleur de lis.
    Riquet se dit que les Français étaient moins dangereux que les Allemands, et qu’on pouvait essayer de leur demander l’aumône. Bertrand ne le voulait à aucun prix, tous les gens du Nord, disait-il, se valent. Mais Ansiau, séduit par l’idée d’entendre le langage du Nord et de parler à des hommes d’armes, se fit mener vers le campement par Auberi.
    Il se trouva qu’il y avait quelques chevaliers champenois dans la troupe, deux même avaient servi à Troyes. Et une heure après, Ansiau était installé avec une douzaine de chevaliers sur les coussins de la grande tente, et la coupe passait de main en main, et Auberi pouvait à peine distinguer son maître, tout noir et dépenaillé qu’il était, des autres hommes qui se trouvaient dans la tente : tant ils avaient tous le même langage et le même sourire, et le vieux lissait de ses doigts sa courte barbe encore plus noire que grise, et posait des questions sur la chevalerie du pays, et riait avec les autres des bonnes histoires qu’on racontait.
    Il apprit que son petit-fils avait été adoubé au printemps, et devait être dans le pays avec les croisés du baron de Chantemerle. « Dommage que je ne l’aie pas vu, disait-il, il tenait plutôt de

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