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22 novembre 1963

22 novembre 1963

Titel: 22 novembre 1963 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Adam Braver
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la foule. « Les corbeaux, disaient les paysans, qui ont amené la guerre dans le pays. Les maudits. Il faudrait les clouer d’un clou au cœur comme les chouettes. » Quand le soir fut tombé, Riquet et Auberi détachèrent la jeune fille et l’emportèrent ; elle vivait encore, et geignait doucement et demandait de l’eau.
    Auberi tremblait si fort qu’il ne pouvait dire deux mots de suite, et s’accrochait à son maître. « Dites, elle ne va pas mourir, dites, mon seigneur ? »
    C’était une nuit chaude ; de l’autre côté de la vallée, le long de la grande route, l’herbe brûlait, les buissons étaient comme des torches, et craquaient, et le ciel était rose de fumée. Les boutefeux d’une troupe de croisés venaient de passer. Les paysans ramassaient en hâte leurs bagages, les agneaux bêlaient, les cruches de terre s’entrechoquaient, les mules mal réveillées piaffaient et s’ébrouaient, les hommes, abrutis par la fatigue, se remettaient en route en silence, tranquillement, trop habitués à ces départs nocturnes pour se plaindre ; les enfants même ne pleurnichaient que parce qu’ils étaient à moitié endormis.
    Les quatre pèlerins restèrent sur place jusqu’au matin, car Afrania se mettait à crier dès qu’on voulait la soulever. Bertrand était très sombre et recommençait à vociférer contre les corbeaux qui viennent du Nord pour manger la chair des hommes du pays. Et Auberi pleurait. « Va, lui disait le vieux, elle s’est donnée au diable, c’est lui qui a fait ça. Il ne faut pas pleurer pour elle. »
    Et au matin, comme ils n’avaient plus d’eau, il fallut se remettre en marche. On ne pouvait savoir quels étaient les croisés qui allaient venir. Alors Ansiau prit la fillette à bras-le-corps, et elle lui passa les bras autour du cou ; elle n’était pas assez forte pour qu’il pût la prendre sur le dos. Et ils se mirent à descendre vers la vallée.
    Dès l’aube, le soleil brûlait. Les cailloux roulaient sous les pieds. Et le corps de la fillette devenait de plus en plus lourd, l’étreinte de ses bras se relâchait, elle glissait en bas, et à chaque effort que le vieux faisait pour la remonter elle poussait des cris. Et il la sentait brûlante, comme si les diables qui étaient en elle la chauffaient de charbons ardents. « Ah ! Dieu, très grand Roi, que n’ai-je à porter ainsi ma plaie, l’enfant de ma chair, et la savoir mourante, et la voir mourir, et lui fermer les yeux. Ah ! Dieu Seigneur, si vous avez laissé celle-ci se damner, qui était une enfant petite et folle, que celle qui est la plaie de mon cœur n’ait pas une mort pire. Agneau blanc, ne gémis pas ainsi, on va s’arrêter. Faut-il que les diables tourmentent tant un enfant qui n’a rien fait ? »
    Il fallut s’arrêter près de la rivière presque tarie où à peine de minces filets d’eau couraient entre les bancs de sable. Le soleil baissait déjà dans le ciel rouge d’incendies. Afrania avait le délire et criait. Elle avait les mains sur les tempes, et les yeux écarquillés de terreur. Et elle avait une voix perçante, glapissante. « Aïe ! Qu’est-ce qu’ils font donc ! qu’est-ce qu’ils font ! Qu’est-ce qu’ils vont faire ! Oh ! non. Oh ! non. Non, non, non. » Et elle collait ses mains à ses yeux avec un cri inhumain – c’était comme si on lui enfonçait un pieu dans le ventre. Et c’était encore : « Aie ! Qu’est-ce qu’ils font ! qu’est-ce qu’ils font ! » et puis elle étendait la main et se mettait à répéter, dans un râle, les yeux durs : « Maudits ! Maudits ! Maudits ! Maudits ! » Et elle recommençait à crier.
    Sa figure, couverte de bleus et d’écorchures était devenue d’un gris noirâtre, son nez et ses lèvres s’amincissaient. Vers le soir, elle ne bougeait plus et râlait, l’écume à la bouche et aux narines.
    Riquet, assis à côté d’elle, la regardait d’un air sombre : il ne savait que faire, elle pouvait n’être pas baptisée, comme le sont souvent les enfants des mauvais, et alors il devait lui donner le baptême pour l’empêcher d’aller sûrement en enfer. Mais d’un autre côté il n’en savait rien, elle pouvait être baptisée quand même, et alors il commettrait un sacrilège en la baptisant une seconde fois. Un autre que lui n’eût peut-être pas réfléchi deux fois pour la baptiser, mais lui, il savait qu’on ne plaisantait pas avec les sacrements. Mais

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