4 000 ans de mystifications historiques
secrètement fait volte-face pour plusieurs raisons qui, près d’un siècle plus tard, demeurent obscures. Et c’est alors que l’Autriche-Hongrie, de plus en plus irritée par les menées serbes et les alliances qui les soutiennent, décide de faire voir à la Serbie de quel bois elle se chauffe. Le temps qui passe augmente les avantages militaires des Serbes, il est temps d’en finir avec eux, comme l’affirme le chef de l’état-major autrichien, le général comte Conrad von Hötzendorff. Vienne décide d’envoyer l’héritier du trône en visite à Sarajevo, capitale de la Bosnie, pour réaffirmer sa domination sur ce territoire que les Serbes convoitent. En apparence, ce ne sera jamais que la répétition de la visite impériale de 1910, après l’annexion par la force de la Bosnie. En fait, c’est un défi.
Se dresse alors l’ombre d’un soupçon : l’Empire austro-hongrois sait-il bien ce qu’il fait ?
*
Les Serbes s’alarment du caractère provocateur d’une visite impériale et mettent en garde le ministre d’État chargé du gouvernement de Bosnie, Léon von Bilinski, conseiller de l’empereur. Ils font valoir que la précédente visite impériale avait tellement excité le nationalisme bosniaque qu’un étudiant, Zarejic, avait tenté d’assassiner le gouverneur de la Bosnie, Varesanine, et s’était ensuite suicidé. La mise en garde serbe ne procède pas d’une sollicitude spontanée pour l’archiduc François-Ferdinand, mais de considérations nationales. La Serbie sait, en effet, qu’un nouvel attentat entraînerait des remous considérables et qu’elle y serait entraînée. Or, affaiblie par ses guerres récentes, elle n’est pas en état d’en affronter une nouvelle.
L’avertissement reste vain. Les Autrichiens s’obstinent et, pis, ils choisissent comme jour de la visite le jour anniversaire de la victoire des Serbes contre les Turcs au Kosovo, en 1389. C’est la fête nationale serbe.
La coïncidence ne peut être accidentelle. La provocation est alors patente.
Et elle est efficace : un étudiant de dix-neuf ans, Gavrilo Prinzip, membre du mouvement clandestin Mlada Bosna, « Jeune Bosnie », tire sur l’archiduc François-Ferdinand et sa femme et les tue tous les deux.
L’Autriche crie alors à la provocation et se présente au monde comme une victime, alors que c’est elle qui a perpétré cette provocation.
De cette mystification éclatante surgit le prétexte d’une déclaration de guerre, celle que l’empire recherchait depuis des mois. L’Autriche adresse à la Serbie un ultimatum de quarante-huit heures, exigeant la suppression de toutes les menées anti-autrichiennes et la punition des coupables avec la participation des autorités autrichiennes.
Or, il n’existe pas la moindre preuve que la Serbie ait trempé dans le complot. Certes, les mêmes aspirations nationalistes ont rapproché les Serbes et les Bosniaques, mais ce sont deux entités distinctes. En tant qu’État souverain, la Serbie conteste les accusations et émet des réserves. Par prudence, elle ordonne cependant une mobilisation partielle. L’Autriche fait de même. Et, un mois exactement après l’attentat de Sarajevo, elle déclare la guerre à la Serbie. Là réside le point crucial de sa stratégie : aux yeux de l’opinion mondiale, elle se présente comme victime du terrorisme serbe ; elle est donc fondée à réagir à cet outrage inadmissible qu’est l’assassinat d’un membre de la famille impériale, l’héritier du trône lui-même.
Il ne viendrait jamais à l’esprit de quiconque que l’Autriche ait sacrifié le prince héritier à des calculs politiques. Et pourtant… Aux yeux d’une fraction de la famille impériale et de la Cour, François-Ferdinand a gravement compromis son accession au trône : il a conclu un mariage morganatique avec une étrangère. Car sa femme, la comtesse Sophie Chotek, est tchèque ; elle n’obtiendra jamais le titre d’impératrice. C’est une disgrâce. Officiellement, Mme de Habsbourg n’a le privilège de paraître assise près de son époux, lors de la tragique visite en voiture ouverte, que parce que celui-ci est présent en tant que maréchal de l’armée autrichienne ; s’il s’était rendu à Sarajevo en visite d’État, donc en qualité d’héritier du trône, elle aurait été reléguée dans une voiture de l’escorte, à bonne distance de son mari.
L’Autriche n’ignorait pas les risques
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