4 000 ans de mystifications historiques
au « miracle de la Marne ». Mais les belligérants sont à court d’armes et de munitions pour reprendre le combat. Les usines d’armement tournent à plein régime, mais elles ne suffisent pas à répondre à la demande. Or, la Chine, théâtre des conflits armés depuis de nombreuses années qui ont entraîné la chute de la dynastie mandchoue, en possède encore de grandes réserves. Le gouvernement chinois est certes neutre, mais bien disposé à l’égard des Alliés. Le gouvernement anglais charge donc son ministre à Pékin, sir John Jordan, d’étudier les modalités d’un accord.
Non sans mal, et afin de ménager le désir de stricte neutralité des Chinois, un plan d’action est trouvé : une firme indépendante achètera les armes et munitions et les cédera ensuite à l’Angleterre. Un éminent fonctionnaire chinois, Liang Shihi, familier du Premier ministre Yuan Shih-k’ai, propose même de prêter aux Anglais trois cent mille hommes qui seront qualifiés de « coolies », c’est-à-dire des hommes de labeur, qui pourront servir dans les Dardanelles. L’homme choisi pour mettre au point ce protocole secret est sir Edmund Backhouse.
Celui-ci est bien connu des résidents anglais et étrangers à Pékin : il parle chinois et passe pour un éminent sinologue. Il devient l’agent secret de la légation britannique à Pékin. Il semble faire merveille : il annonce ainsi qu’il a obtenu un accord pour la vente de cent mille fusils, trois cent cinquante mitrailleuses Krupp et trente millions de cartouches de calibre .313, puis de cent canons de campagne Krug de 1911, de cent mitrailleuses de plus… À Londres, le War Office exulte et, à Pékin, le ministre Jordan attend avec impatience la livraison de ces joujoux qui doivent arriver par Hong Kong. Les sommes en jeu sont énormes et Backhouse perçoit dessus sa commission. Mais les bateaux sur lesquels les armes sont embarquées sont en retard, ils ont été retenus par un gouverneur de province. Il y a toujours un petit hic qui intervient.
En novembre 1915, la légation britannique n’a pas vu un seul fusil. Backhouse excipe toujours d’explications tarabiscotées. Il se targue toujours d’amitiés avec tel ou tel haut personnage du gouvernement chinois. À la fin, exaspéré, le ministre Jordan le confronte à Pékin avec eux : ils ne l’ont jamais vu et les amitiés dont il se vantait étaient imaginaires.
Démasqué, il se déclare malade et annonce qu’il rentre en Angleterre pour achever la mise au point d’un dictionnaire chinois. Personne ne souffle mot du fiasco, qui couvrirait de ridicule le personnel diplomatique britannique.
Backhouse revient en Chine en 1916 et se lance dans une autre entreprise, avec des Américains cette fois : il s’agit d’obtenir le marché de l’impression de banknotes chinoises pour une valeur de 100 millions de livres sterling. Backhouse traite pour le compte de la société américaine Bank Note Company. Et, là encore, le déroulement des opérations est curieusement tortueux, il faut verser un pot-de-vin à Untel, puis à Unautre, il faut renégocier le contrat et ainsi de suite.
À la fin, Backhouse remet au patron de la Bank Note Company, George Hall, un contrat signé par le Premier ministre chinois en personne. Et, quelques semaines plus tard, la vérité éclate : le contrat est un faux, la signature du Premier ministre aussi. Et Backhouse a reçu sa commission en avance. Prié de la rembourser, il invente un autre stratagème : grâce à ses intelligences dans l’ancien palais impérial, il obtiendra, assure-t-il, la veste de perles de l’impératrice, d’une valeur inestimable, et divers autres objets de prix. Lui et l’Américain auquel il vient de jouer un tour, Hall, s’en partageront la valeur. La veste étant difficile à obtenir, il se propose d’aller cambrioler la réserve où elle est conservée. De prétexte en prétexte, le projet tombe à l’eau et il apparaît en fin de compte que la veste n’a jamais existé.
Quant aux objets de prix, ce sont des chinoiseries de bazar.
*
Un livre entier suffirait à peine à raconter les arnaques de Backhouse ; c’est celui qu’a écrit l’historien anglais Hugh Trevor-Roper (44) . L’un des clous en est le journal intime de Backhouse, dans lequel il raconte qu’il a été l’amant de l’impératrice Tseu-Hi et autres balivernes baignant dans une sauce pornographique qui scandalisa l’historien. Mais il
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