4 000 ans de mystifications historiques
de l’armée française en 1917 n’en avait été que l’épisode le plus connu. Les populations de l’Europe étaient écœurées de la grande tuerie qui s’était perpétuée quatre années. L’indécision qui régna jusque dans les états-majors français quant au soutien aux Armées blanches (51) reflète lui aussi l’aversion générale à de nouveaux conflits.
De surcroît, les troupes de terre et de mer de l’époque étaient partout traitées avec une brutalité que le patriotisme ne suffisait plus à justifier. La célèbre révolte des marins du cuirassé Potemkine n’était qu’un sursaut de révolte de l’éternelle chair à canon à laquelle on servait des brouets infâmes et à laquelle on demandait de verser son sang à l’infini.
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André Marty n’avait été le chef d’aucune mutinerie. Ou bien alors les conversations de mess et de cafés du commerce depuis des décennies regorgeraient de héros inconnus.
Cependant, le mythe du « Mutin de la mer Noire » commença à se former, propagé par les communistes, et au début de la Seconde Guerre mondiale, il prit des proportions inattendues :
Prenez garde, messieurs les capitalistes, les jeunes prolétaires de France, sous les armes ou dans les usines, gardent leur confiance en l’URSS, en Staline. Ils se souviennent d’André Marty et des Mutins de la mer Noire ! Ils ne se battront pas contre la patrie socialiste.
C’était ce que clamait Avant-Garde , organe des Jeunesses communistes, le 1 er février 1940.
À l’époque, en effet, l’URSS était liée au III e Reich nazi par le pacte de Moscou, dit également pacte Molotov-Ribbentrop, qui devait tant embarrasser le PCF par la suite. Se battre contre les nazis, cela revenait à se battre contre un allié de l’URSS. D’où l’appel à la mutinerie, repris par le PCF lui-même, sous la bannière imaginaire des Mutins de la mer Noire :
Et si demain les gouvernants de Paris et de Londres veulent faire battre les travailleurs français contre l’URSS, alors l’exemple donné par André Marty et les marins de la mer Noire il y a vingt ans aura de profonds échos parmi les soldats, les marins et les aviateurs. (Au peuple de France, appel du PCF de février 1940)
Le PCF offrait donc en exemple pour tous les communistes une révolte qui n’avait jamais eu lieu. L’Internationale communiste à Moscou endossa le mythe, qui grandissait l’influence communiste en France en 1919. Le mythe finit par s’imposer même à des gens qui n’étaient pas communistes : on ne pouvait pas systématiquement soupçonner d’insincérité ceux qui l’étaient. Comme dit Voltaire, « nul n’a le privilège de se tromper toujours ».
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Un nouveau mythe se surimposa au premier, toujours incarné par André Marty : il aurait été l’un des héros républicains de la guerre d’Espagne. Le personnage fut ainsi campé par Ernest Hemingway dans le rôle du bourreau d’une cause plus grande que les combattants, l’André Massart de Pour qui sonne le glas . Il est l’homme que hait – à juste titre – le général Golz, qui songe :
Je te descendrai, Massart, avant de te laisser poser ton immonde doigt gris sur une de mes cartes. Sois maudit pour tous les hommes que tu as fait tuer en te mêlant de choses que tu ne connais pas. Maudit soit le jour où l’on a donné ton nom à des usines de tracteurs, à des villages, à des coopératives, faisant de toi un symbole auquel je ne puis toucher…
Il avait été présent en Espagne, en effet, mais il ne s’y était pas battu : il n’avait jamais été au front ; il n’y était qu’un bureaucrate. Sa présence s’expliquait par son rôle d’inspecteur des brigades internationales ; représentant de Moscou, il veillait à éliminer de celles-ci les courants étrangers, afin d’assurer la mainmise exclusive du PCUS sur cette guerre qui fut le banc d’essai de la Seconde Guerre mondiale. En tant que membre du Komintern, écouté du chef du gouvernement républicain de Juan Negrin, il participa ainsi à la liquidation du Poum, mouvement ouvrier trotzkiste très puissant en Catalogne, et de la Confédération nationale du travail, d’inspiration anarchiste. Selon un combattant de cette guerre, interviewé par Hervé Le Goff (52) , Marty « aurait fait exécuter de nombreux membres français des Brigades, notamment à Albacete ». Un ancien combattant de la guerre d’Espagne, André Labarthe, qui fut plus tard membre
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