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4 000 ans de mystifications historiques

4 000 ans de mystifications historiques

Titel: 4 000 ans de mystifications historiques Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gérald Messadié
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ancienne, procédant à un rite barbare. Ils s’approprient la dépouille du grand chef.
    La mise en bière a lieu à 15 h 30, mais le corps est fortement incomplet. La tête manque, et un œil y manque aussi évidemment, mais il a été enlevé bien des années auparavant, à la suite d’une infection, quand Gambetta avait vingt-neuf ans  (57) . Le professeur Gibier emporte un morceau d’intestin duquel pend l’appendice ; Lannelongue emporte un avant-bras avec la main blessée ; Duval garde le cerveau, Paul Bert le cœur… Six morceaux ont été ainsi prélevés. Après avoir assisté au rapport du commissaire de police de Sèvres, qui ne fait aucune mention des mutilations, ces messieurs reprennent le train pour Paris avec leurs singuliers colis, dûment emballés, et se retrouvent au domicile de Charcot pour préparer le communiqué officiel sur la mort de Léon Gambetta.
     
    Le 2 avril 1909, quand le corps de Gambetta fut transféré au cimetière du Château, à Nice, pour être déposé dans un monument érigé par la municipalité, le cercueil fut ouvert. Les membres de la famille, le préfet des Alpes-Maritimes, le sénateur-maire de Nice, le commissaire de police, les journalistes, le public découvrirent avec horreur le cadavre décapité et dépecé. Le cercueil fut refermé et les discours prononcés comme si de rien n’était. Toutefois, des enquêtes discrètes commencèrent.
    Mais les témoins survivants ne savaient rien, ne se souvenaient de rien. Une crise d’amnésie collective avait sévi. À ce jour n’ont été retrouvés que le cerveau, le cœur… et un œil. Le journaliste Daniel Hourquebie, de La Dépêche du Midi, retrouva le cerveau à la section anthropologique du musée de l’Homme à Paris, entre deux bocaux, dont celui d’un idiot et celui d’un assassin  (58) .
    Le cœur fut miraculeusement retrouvé, et il fut solennellement transféré au Panthéon, en 1920.
    L’œil, enlevé par le Dr Wecker, séjournait dans un bocal, dans le bureau du directeur de l’Opéra-Comique. Wecker l’avait livré à son préparateur, Walsh, qui l’avait à son tour remis en 1919 à Pierre-Barthélémy Gheusi, déjà cité et alors directeur de l’Opéra-Comique. En 1933, il fut confié au musée de Cahors avant d’être finalement installé à la bibliothèque municipale de cette ville, où était né Gambetta.
    Il est licite de se demander quel est, pour quiconque, le bénéfice de cette fausse piété.
    Ces péripéties macabres et passablement honteuses comportent une leçon : elles éclairent la transe qui, dans des circonstances exceptionnelles, s’empare d’esprits élevés, tels que l’étaient sans nul doute Lannelongue, Paul Bert, Brouardel, Charcot, pour ne citer qu’eux, et qui les pousse à des comportements qui semblent irrationnels. Gambetta était à leur époque un héros de la République ; il avait atteint un statut mythique. Le mythe paralysa en eux les convenances, voire la décence ; ils s’approprièrent des fragments de son corps, comme s’il avait été un saint faiseur de miracles, comme on l’avait déjà fait pour Charlemagne (n’avait-on pas offert un morceau du bras de cet empereur à Joséphine, lors de son passage à Aix-la-Chapelle ?). Elle le récusa gracieusement, alléguant qu’elle disposait déjà d’un bras fort sur lequel elle pouvait s’appuyer.
    L’épisode illustre la puissance du mythe sur l’esprit humain, et, pour être aussi irrésistible sur des praticiens pourtant accoutumés à la misère du corps humain, il permet de mesurer son emprise sur des esprits moins instruits et des foules. Telle est la raison de sa présence dans ces pages.
    On eût pu supposer – ou espérer – que la fascination déplacée pour ce qui n’est après tout que des fragments de cadavre irait s’affaiblissant. Point : un épisode similaire agita l’opinion publique en 2010, quand un amateur assura avoir retrouvé le crâne du bon roi Henri, Henri IV pour mémoire, qui avait disparu depuis 1793, lors de la profanation des tombes royales de l’abbaye de Saint-Denis. Le macabre débris semblait perdu pour toujours quand il fut vendu, dit-on, à l’hôtel Drouot en 1919. Un aréopage d’experts, dont un descendant du monarque, tint conférence de presse au Grand Palais, assurant que le crâne retrouvé était bien celui du Vert-Galant, avec « une probabilité supérieure à 99,9 % ».
    Las, un autre expert, Philippe Delorme,

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