4 000 ans de mystifications historiques
autorisé par leur gouvernement. On croit rêver : attendait-il du gouvernement tchèque l’autorisation de tirer sur ses soldats parce qu’ils s’opposaient aux décisions alliées ? Janin se moque du monde et, pour commencer, du ministre des Affaires étrangères. Il remet donc Koltchak aux bolcheviques.
Le scandale est dénoncé par Maugras lui-même ;
Je dois faire remarquer que la livraison de l’amiral aux socialistes-révolutionnaires, sans qu’il y ait eu résistance ni combat, ne paraît pas s’accorder avec la note remise le 1 er janvier par les hauts-commissaires alliés au général Janin, acceptée par conséquent par lui et tendant à accorder à l’amiral la protection des troupes alliées. Mes collègues m’en ont déjà fait la remarque. […] Je ne doute pas que le général Janin n’ait eu des raisons impérieuses pour autoriser la remise de l’amiral Koltchak aux socialistes-révolutionnaires, mais je dois constater que nous subissons de ce fait une sérieuse perte de prestige non seulement vis-à-vis des Russes, mais vis-à-vis de nos alliés. […] Quant aux Tchèques, ils rejettent la décision relative à l’amiral sur le général Janin et assurent qu’ils n’ont agi que suivant ses ordres.
Voilà qui est plus grave : Janin a menti. C’est lui qui a donné aux Tchèques l’ordre de remettre Koltchak aux bolcheviques. Il a agi contrairement aux ordres donnés : il est l’unique responsable de la déroute de l’Armée blanche.
Quatre-vingt-dix ans après les événements, il faut le clamer : le général Pierre-Maurice Janin fut un traître.
De toute façon, ni lui ni les hauts-commissaires ne furent présents pour accueillir l’amiral. Peut-être Janin ne voulait-il pas faire face à l’homme qu’il envoyait à la mort. Lorsque le wagon de Koltchak arriva à Irkoutsk le 15, les gardes tchèques cédèrent leurs postes à des Gardes rouges. Les Tchèques, en effet, s’étaient ralliés aux bolcheviques, ces mêmes bolcheviques dont ils avaient rossé les Gardes rouges.
De son wagon, Koltchak assiste à la relève de la garde et dit : « Les Alliés m’ont donc trahi. » Il est fusillé deux jours plus tard (55) .
*
L’adversaire principal des bolcheviques avait été abattu, grâce à la trahison d’un général français.
Il ne restera de l’épopée tragique des Armées blanches en Asie qu’un dernier résistant, paranoïaque, Roman Fyodorovitch Ungern von Sternberg, « empereur de Mongolie » jusqu’en 1921, date à laquelle il sera lui aussi arrêté par l’Armée rouge et fusillé.
Trois quarts de siècle de terreur soviétique et quatre-vingts millions de morts seraient la sanction de l’impéritie des Alliés et de la trahison d’un de leurs officiers supérieurs.
Ce récit ne se trouve guère dans les livres d’histoire.
1920
Comment l’œil de Gambetta
finit à l’Opéra-Comique
À minuit moins cinq exactement, le 31 décembre 1882, le grand républicain que fut Léon Gambetta rendit son dernier soupir dans sa maison de Ville-d’Avray.
La machine à rumeurs s’emballa et fut sans doute à l’origine d’un imbroglio, qui défie la crédulité, ainsi que d’une apparente amnésie collective. Cette machine s’était déjà emballée un mois plus tôt. Le 27 novembre, en effet, Gambetta, selon sa propre version, s’était blessé en maniant un revolver. La balle avait traversé la paume et était ressortie en avant du poignet. C’était tout à fait plausible : les hommes du temps tiraillaient beaucoup au revolver, pour le cas d’un duel. Et Gambetta le faisait aussi, souvent à tort et à travers. Il tirait ainsi de la fenêtre de sa voiture. Le Dr Gilles, de l’hôpital Brezin, accourut pour soigner la plaie. Et l’après-midi, une sommité de la faculté, le Dr Lannelongue, vint exprès de Paris faire le pansement et ordonna à son patient de garder le lit et d’observer la diète.
Les ragots s’emballèrent. Gambetta vivait avec une femme qu’il n’avait pas épousée, Léonie Léon. Mais il était question de mariage. Léonie Léon avait-elle tenté de se suicider et s’était-il blessé en la retenant ? Ou bien avait-elle tenté de le tuer et il avait reçu la balle en parant l’arme de sa main ? C’est cette dernière version que répandit Henri de Rochefort, célèbre caqueteur du temps, dans L’Intransigeant : « Nous croyons pouvoir ajouter que la scène est née d’un projet de mariage que
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