4 000 ans de mystifications historiques
M. Gambetta serait résolu à contracter. » Trois jours plus tard, le journal fondé par le grand homme, La République française , publia un bulletin pour assurer ses lecteurs que, la plaie cicatrisée, tout allait très bien.
Mais l’opinion ne se le tint pas pour dit. Le fait que six médecins – Lannelongue, Siredey, Fieuzal et d’autres – se réunissent le lendemain au chevet du blessé exacerba les imaginations. On raconta que ce n’était pas une, mais deux balles que Gambetta avait reçues : la première, au poignet, n’avait causé qu’une blessure sans gravité ; mais l’autre avait atteint le ventre et causé des dégâts graves, d’où le régime sévère imposé au patient. Garde-t-on le lit pour une blessure à la main ? Allons !
La santé de Gambetta faisait alors l’objet d’une vigilance sans relâche. Les grands hommes fascinent depuis toujours et, s’il en était un en France, c’était bien l’illustre défenseur de la République. Or, cette fascination allait atteindre le monde médical et causer des troubles collectifs du comportement.
Quand Gambetta meurt, cinq minutes avant le début de l’année 1883, le public ne l’apprend que le 1 er de l’an. Et les langues se déchaînent. Cette coïncidence, mais c’est évident ! Cette fois-ci, elle l’a eu ! Elle avait juré qu’il ne verrait pas la nouvelle année !
On parle d’une mystérieuse Allemande nommée, qui l’eût cru, Dalila…
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Il n’y a jamais eu d’autres femme que Léonie Léon dans la villa de Ville-d’Avray. Il est vrai que les bans du mariage devaient être publiés trois jours après l’accident et qu’il n’en fut plus question tout au long du mois de décembre. C’est singulier. Mais peut-être pour d’autres raisons que celles que l’on suppose.
Gambetta demande à Lannelongue la permission de sortir de chez lui pour se promener. Oui, mais à la condition que ce soit en landau, exige le praticien. Le cocher Roblin va en louer un à Paris, aux Champs-Elysées. Et Gambetta, emmitouflé dans une pelisse, sort donc, par une belle journée d’hiver, avec Léonie Léon à ses côtés. Une roue de la voiture passe sur un caillou, le cahot arrache un cri de douleur à Gambetta. Cette fois-ci, c’est à l’aine droite qu’il a mal. Il se plaint aussi d’avoir froid. Les jours passent, le malade, car c’en est un, ne se rétablit pas.
Le jour du réveillon est sinistre. Les médecins reviennent, encore plus célèbres – le professeur Trelat, chirurgien, le professeur Brouardel, le professeur Lannelongue, une fois de plus, le professeur Mathias, anatomiste, le célèbre Charcot, anatomiste aussi… Ils ont fini par diagnostiquer le mal, et ils sont soucieux : c’est ce qu’on appelle à l’époque une « pérityphlite » et, aujourd’hui, une appendicite compliquée de péritonite. Or, cela ne s’opère pas alors comme de nos jours. En 1882, l’intervention, qui n’aurait été que suggérée par Lannelongue, n’avait jamais été tentée ; il n’est pas certain qu’elle aurait sauvé Gambetta. Leur responsabilité est grande et ils jouent leur prestige.
Gambetta les délivre de leur dilemme en rendant l’âme.
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Le 2 janvier 1883, ce ne sont pas moins de treize médecins qui arrivent à Ville-d’Avray pour procéder à l’autopsie et à l’embaumement de Gambetta. En plus des noms déjà cités, il y a Paul Bert, Cornil, Liouville, Siredey… Tous des sommités, plus l’embaumeur Baudiau, avec leurs assistants. Et, d’après les témoignages de ces derniers, recueillis par Pierre-Barthélémy Gheusi (56) , petit-cousin de Gambetta, c’est « une véritable boucherie » qui commence. Ils tiennent la gloire de la République sous leurs bistouris et leurs scies. Et ils scient, ils incisent, ils coupent, dans des conditions détestables, car l’embaumeur a injecté son liquide durcisseur avant même qu’ils aient commencé. Ils scient le crâne pour prélever le cerveau, puis la cage thoracique pour enlever le cœur, et les confient à l’embaumeur pour qu’il les fasse peser chez un pharmacien à Sèvres. Le cerveau, 1,160 kilo, plus petit que prévu, le cœur, 400 grammes… Ils finissent même par détacher la tête.
Ce comportement aberrant, qui ne ressemble en rien à une autopsie, évoque plutôt une sorte de transe collective dans laquelle des gens d’un niveau intellectuel supérieur se comportent comme des hommes d’une époque
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