4 000 ans de mystifications historiques
des sculptures étrusques du Met : il avait rencontré le faussaire, Alfredo Fioravanti, qui lui avait montré le pouce manquant de la statue de Mars, toujours en sa possession. La direction du Met, alarmée, dépêcha un directeur à Rome, muni d’un moulage de la main, et Fioravanti fut convoqué chez le consul américain à Rome ; devant le fonctionnaire, il ajusta sans effort le pouce au moulage.
La direction du Met soutint alors que le pouce manquant en possession de Fioravanti était un fragment authentique de l’authentique statue. Mais Fioravanti raconta alors la manière dont lui et son frère avaient fabriqué la statue.
Cela en faisait trop. Le jour de la Saint-Valentin 1961, les sculptures dans lesquelles le public avait admiré pendant quarante ans l’expression de la fierté belliqueuse des Étrusques disparurent des salles qu’elles avaient honorées.
Personne ne les a jamais revues.
Incidemment, les artisans qui avaient fabriqué ces faux ne l’avaient pas fait malhonnêtement : ils étaient des copistes qui avaient exécuté des commandes de courtiers véreux. La preuve en est que, dans les deux cas, ils avaient personnellement témoigné qu’ils étaient bien les auteurs des œuvres jugées ensuite litigieuses. Autre preuve : ils ne furent jamais poursuivis.
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Ces deux exemples illustrent la force de l’autosuggestion chez ceux qui eussent dû être les premiers à déceler la mystification. Les experts avaient cédé à la volonté de croire que la tiare de Saïtapharnès et la sculpture étrusque étaient bonnes. Les raisons en étaient obscures, mais la plus plausible est qu’ils exaltaient leur amour-propre en authentifiant ce qui était à leurs yeux des chefs-d’œuvre.
Un troisième exemple démontrera que la mystification peut procéder d’un désir de vengeance, c’est-à-dire, là aussi, d’une satisfaction d’amour-propre.
Le nom de Han van Meegeren est connu de quelques amateurs d’art contemporains : il évoque un incident grotesque à force d’absurdité. En 1945, les membres de la commission hollandaise chargés de récupérer les œuvres d’art volées dans leur pays par les nazis tombèrent sur un tableau qui avait appartenu à Goering, La Femme adultère . Ils furent saisis : c’était un Vermeer et de la plus belle qualité, mais inconnu des catalogues de l’œuvre de ce peintre, fort prisé depuis plusieurs décennies. Mais d’où venait donc ce chef-d’œuvre ? Trésors nationaux, les peintures de Vermeer étaient, en effet, interdites d’exportation.
Une vaste et ultrasecrète enquête de police fut lancée. Elle mena au 321 Keisergracht, exquise vieille maison d’Amsterdam donnant sur le canal. Elle appartenait à Van Meegeren.
La suite de l’enquête révéla que trois intermédiaires, Walter Hofer, Alois Miedl et Reinstra van Strijvesande, avaient organisé la vente du Vermeer à Goering, et tout indiquait que le vendeur originel avait été van Meegeren. L’homme était riche, propriétaire de plusieurs maisons à Amsterdam et Laren, et apprécié de ses voisins, en dépit d’un mode de vie pour le moins excentrique. Comment était-il entré en possession de ce Vermeer ? C’est alors que van Meegeren lança sa deuxième mystification : il raconta à deux policiers venus l’interroger qu’il avait acheté le tableau en Italie, à un amateur ruiné.
Le 22 mai 1945, il fut arrêté pour collaboration avec l’ennemi, ce qui était à l’époque une accusation lourde de conséquences, et il fut incarcéré. Lors d’une première déposition, il déclara qu’il avait peint quatorze faux tableaux de maîtres et qu’il en avait vendu neuf, gagnant dans la transaction la coquette somme de 5 460 000 guldens.
La consternation, s’empara des marchands d’art hollandais : comment n’avaient-ils pas détecté ces faux ?
Ils ignoraient, autant que la police, que l’affaire aurait bien d’autres répercussions et qu’elle plongeait des racines dans un passé déjà lointain.
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En 1937, un jeune homme un peu maigre assistait incognito à la présentation au public du « chef-d’œuvre absolu » de Vermeer, Les Disciples à Emmaüs , sur les cimaises du musée Boymans de Rotterdam. Le tableau avait été examiné et authentifié par toutes les autorités artistiques hollandaises – les professeurs Bredius, van Gelder et Hannema, Martin et Schneider du Maurithuis, Sçhmidt-Degener et Roëll du Rijksmuseum.
Or, c’était
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