4 000 ans de mystifications historiques
opposa les faits historiques (59) : d’après les témoignages du temps, la tête d’Henri IV avait été sciée pour être vidée de son cerveau, lequel fut remplacé par de l’étoupe. Or, le crâne que voilà n’avait été ni scié ni trépané.
Mais l’imagination est prompte à se croire elle-même. Il faut souvent plus que des preuves historiques pour trépaner un mythe. Les délices de l’automystification sont irrésistibles, même quand l’objet en est répugnant et n’appelle que la paix du tombeau.
1921
Le scandale des experts de musée,
ou les prodiges de l’autosuggestion
L’histoire des faux artistiques est sans doute aussi vieille que l’art et une encyclopédie suffirait à peine à en recenser les affaires les plus retentissantes. À première vue, elles n’auraient rien à faire dans ces pages, car la nuance semble forte entre le faussaire, qui est un escroc agissant par appât du lucre, et le mystificateur, qui est censé être motivé par des raisons intellectuelles, idéologiques, politiques ou autres. Mais cette distinction omet un troisième facteur, qui est la tendance à l’automystification. Celle-ci dérive d’un phénomène courant, où la volonté de croire domine le désir de savoir. C’est le même phénomène qui explique la crédulité publique à l’égard des mythes dénoncés plus haut. Il explique aussi les formidables bévues des experts par la faute desquels tant de scandales ont émaillé l’histoire des grands musées.
On n’en trouvera certes pas mention dans les brochures vendues aux visiteurs, mais il est peu de musées au monde qui n’aient été victimes de bourdes mémorables.
En 1902, le Louvre acquit ainsi une tiare en or massif, censée avoir été offerte par les Olbiates, une tribu de Grecs des bords du Dniepr, au roi scythe Saïtapharnès, au II e siècle av. J.-C. Deux riches collectionneurs, le comte Wilczek et le baron Nathaniel de Rothschild, avaient été intéressés par l’objet, mais furent dissuadés par l’avis défavorable du musée des Arts et Métiers de Vienne, qui trouvait bizarre qu’un objet en or vieux de deux mille ans eût été si bien conservé. Le Louvre, lui, paya 200 000 francs-or, somme alors considérable, au mystérieux courtier roumain qui lui avait proposé la coiffe mirifique.
Les doutes qu’émirent ensuite certains connaisseurs furent promptement étouffés. Le scandale éclata quand un joaillier parisien déclara haut et fort tenir de bonne source que la fameuse tiare avait été fabriquée par un collègue d’Odessa, Israël Rouchomovsky. Celui-ci vint à Paris confirmer qu’il était bien l’artisan de l’objet. Rien n’y fit : la volonté de croire fut la plus forte et une autorité en la matière, André Falize, publia un article de quatre pages dans la revue Les Arts , traitant Rouchomovsky de faiseur et confirmant l’authenticité de la tiare, splendide exemple de l’orfèvrerie préchrétienne…
Même lorsque les dires du joaillier d’Odessa eurent été vérifiés et que la tiare eut été soustraite à l’admiration du public, les experts continuèrent de protester qu’elle était authentique. On peut l’examiner de nos jours au musée des Arts décoratifs à Paris.
En février 1921, le Metropolitan Muséum de New York offrit à l’admiration de ses visiteurs une nouvelle et remarquable acquisition : une statue étrusque en terre cuite, haute de 2,60 mètres et représentant Mars combattant. Ce musée ne divulgue généralement pas les prix de ses acquisitions, mais la rumeur parfois s’en charge : la somme avoisinait 150 000 dollars, soit quelque 20 millions actuels.
Les experts du musée confirmèrent son authenticité. Mais quand une photo en parut en 1933 dans le bulletin du musée, Piero Tozzi, marchand d’art italien installé à New York, poussa les hauts cris : ce Mars était une fabrication moderne d’artisans qu’il connaissait bien, les frères Fioravanti et Riccardi.
On n’en tint pas compte. Les experts n’avaient-ils pas certifié l’œuvre ?
Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres experts, italiens ceux-là, purent se rendre à New York ; ils allèrent voir le fameux Mars et d’autres sculptures « étrusques » du Metropolitan ; ils ricanèrent ; on n’en tint pas compte non plus.
En décembre 1960, un agent des musées américains, Harold Parsons, écrivit au New York Times qu’il connaissait la preuve de la fausseté
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