4 000 ans de mystifications historiques
uns, de trois pour les autres ». À l’évidence, Pythéas est arrivé dans le cercle polaire arctique, au moment du solstice d’été.
Détail frappant : Pythéas rapporte que les habitants de cette contrée battent leurs récoltes sous abri, « la pluie et le manque de soleil les empêchant de se servir d’aires découvertes ». Le manque de soleil dont il parle ne peut se produire que l’automne et l’hiver, où les jours sont très courts ; Pythéas n’a pas pu inventer ce fait, puisqu’il n’était pas dans la région à cette époque. Il n’a pas inventé non plus que les Hyperboréens fabriquent une boisson à base de céréales et de miel.
Qu’était cette terre dont la légende hanta les imaginations jusqu’au XX e siècle ? Estimer sa position exacte serait hasardeux, car on ignore la vitesse à laquelle l’explorateur avança pendant six jours au nord de la Grande-Bretagne, et la majorité des navigateurs et historiens supposent que Pythéas aurait pu atteindre l’archipel des Orcades ou des Shetland, mais certainement pas l’Islande. Toutefois, cette restriction laisse fortement sceptique, car le temps nécessaire pour rallier les deux archipels à partir du nord de la Grande-Bretagne est bien inférieur à six jours de navigation : il est à peine d’un jour entier, Pythéas a pu se rendre plus au nord, surtout si l’on tient compte du courant et des alizés de l’Atlantique nord au moment du solstice d’été. L’Islande est située à quelque 250 milles au nord-ouest de la Grande-Bretagne ; un vent soutenu aurait permis à Pythéas de franchir une quarantaine de milles par jour, à une vitesse inférieure à deux nœuds par heure. Certains lui concèdent qu’il aurait pu atteindre la Norvège, puisqu’il descendit jusqu’à la Baltique ; ce qui ne serait déjà pas si mal pour cette époque.
La « mer coagulée » empêcha notre pionnier d’aller plus au nord, et il bifurqua vers l’est ; il atteignit la Baltique, puisque Pline l’Ancien rapporte sa présence à l’embouchure de la Vistule. Puis il rentra à Massilia. Il avait fait un voyage prodigieux.
Les navigateurs romains ne parvinrent jamais à le refaire ; telle fut probablement la raison du scepticisme affiché des auteurs anciens. Comment ce Massiliote aurait-il réussi tout seul ce que la puissante marine romaine n’avait pu faire ? Ils daubèrent donc sur la « mer coagulée » et rejetèrent Thulé au rang des inventions de ce « menteur ».
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Que fut cette « mer coagulée », dont la mention a jeté Pythéas dans un discrédit interminable ? À l’évidence, une mer semée de petits débris de glaces, comme pouvaient en créer les fontes de fragments de banquise en été, et qui donnait de loin une impression de lait coagulant sa crème. Pythéas lui-même n’avait jamais rien vu de tel, il se contenta de décrire le phénomène ; ses détracteurs pouvant encore moins imaginer celui-ci, ils s’esclaffèrent. Mais certains universitaires modernes persistent à rejeter catégoriquement cette explication et jugent que la description de Pythéas ressemble trop à celles des limites du monde, ainsi que les Anciens les imaginaient, des régions où les trois éléments se fondent dans le chaos, interdisant le passage humain.
Au cours des siècles, on a étudié plus attentivement l’exploit du Massiliote. Pour commencer, plusieurs auteurs antiques mentionnent qu’il calcula la hauteur du soleil à l’aide d’un grand gnomon ou cadran solaire, au solstice d’été ; il put ainsi déterminer la latitude de Massilia avec une surprenante exactitude. Reprenant sa méthode, Ératosthène puis Hipparque améliorèrent ainsi le calcul des latitudes.
Pythéas fut aussi le premier à établir une corrélation entre les marées et l’influence de la Lune.
Il fut également le premier à observer que l’étoile polaire ne se trouve pas exactement au-dessus du pôle Nord ; il fallait quand même être monté assez au nord pour cela, et cette observation seule suffit à vérifier son voyage vers Thulé.
Tous ces faits indiquent qu’il n’était certes pas le premier hâbleur venu. Les critiques modernes lui reprochent le peu de fiabilité de ses mesures et sa crédulité, qui auraient induit en erreur des géographes et navigateurs ultérieurs. Mais, dix-huit siècles plus tard, Christophe Colomb commettrait encore des erreurs de calcul phénoménales ; les mesures géographiques ont
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