4 000 ans de mystifications historiques
souffert d’une lourde imprécision jusqu’au XVIII e siècle.
Reste à déterminer les conditions et les raisons pour lesquelles Pythéas entreprit cette expédition, qui exigeait des moyens matériels importants. C’est le point sur lequel Polybe se fonde pour contester la réalité du voyage de Pythéas. Or, Polybe semble ignorer qu’un autre navigateur, Euthymène, partit en même temps que Pythéas pour explorer, lui, les côtes africaines. La coïncidence est frappante : qui donc aurait été le commanditaire ayant financé ces deux voyages, et dans quel but ? La réponse est Alexandre. Le grand conquérant, qui venait de soumettre l’Asie, cherchait d’autres territoires à ses exploits ; il était encore jeune (il mourut, en 323 av. J.-C., du typhus ou de paludisme). Or, le monde méditerranéen ne savait encore rien du septentrion. Seul Alexandre pouvait financer des expéditions de plusieurs trières (chacune comptait alors deux cents rameurs) et y aurait trouvé son intérêt.
Le scepticisme et les sarcasmes des experts modernes constituent un risque aussi grand que la mystification éventuelle. L’histoire de Pythéas est à cet égard exemplaire : elle rappelle les erreurs de ces experts. En 1900, un grand physicien, lord Kelvin, président de la British Royal Society, déclarait solennellement : « Les rayons X sont une mystification. » Cinq ans plus tôt, il avait affirmé tout aussi solennellement : « Des machines volantes plus lourdes que l’air sont impossibles. »
La liste des erreurs modernes est aussi longue que celle des anciennes. Pythéas n’en est que l’une des victimes.
62 av. J.-C.
Un scandale fabriqué dans la Rome
de Jules César
L’enseignement classique de la Rome antique prête généralement une inaccessible noblesse aux personnages de cette civilisation ; ils sont, dans toutes les écoles et universités du monde, présentés à l’étudiant comme des modèles absolus de la vertu héroïque et d’une sagesse immarcescible. S’ils ne l’étaient, d’ailleurs, pourquoi étudierait-on leurs faits et écrits ? Drapés dans leurs toges, ils dominent ainsi les cultures modernes, pâles et déplorables reflets d’une splendeur à jamais perdue.
Cette mystification – car c’en est bien une, aussi pieuse soit-elle – déforme la perception des réalités moderne et antique. Une approche moins solennelle démontre amplement que les Romains étaient des gens comme nous, avec leurs ridicules et leurs qualités, qu’ils étaient des people comme tous les autres et, accessoirement, qu’ils se livraient eux aussi à des mystifications.
En 62 av. J.-C., un scandale épouvantable secoua la bonne société de la Ville éternelle. Les acteurs ne furent autres que Jules César et Cicéron, et cet événement fut assez retentissant pour qu’un auteur aussi réputé que Plutarque le rapporte dans ses Vies des hommes illustres . Dans la nuit du 3 au 4 décembre, un jeune homme de la bonne société, Publius Clodius – forme plébéienne de Claudius – Pulcher, se déguisa en musicienne pour entrer dans la maison de Jules César. Cette nuit-là, seules des femmes étaient autorisées à être présentes dans la demeure : César lui-même et tous les hommes de la maisonnée étaient allés dormir ailleurs ; car la nuit était consacrée aux rites de la Bona Dea, célébrée par les vierges vestales, en présence de toutes les Romaines de la société.
Qu’étaient ces rites ? Des mystères. Et les hypothèses à leur sujet s’échelonnent de la chaste célébration de l’essence divine de la femme à des pratiques plus ou moins graveleuses. Toujours fut-il que Pulcher prévint Abra, la servante de la femme de César – sa deuxième ou troisième, on ne sait –, Pompeia, qu’il était dans les lieux. En effet, il entretenait avec celle-ci une liaison adultérine. Abra s’en alla donc prévenir sa maîtresse. Mais la mère de César, qui présidait à la cérémonie et surveillait les allées et venues, repéra l’intrus. Elle délégua sa bonne pour lui demander de jouer de sa lyre. Pulcher se trouva poussé au centre de l’assemblée. Hélas, il ne savait pas se servir de cet instrument. On lui demanda ce qu’il faisait là, il répondit qu’il attendait Abra. Mais sa voix trahit naturellement son sexe. Sacrilège ! Un homme était présent aux rites des vestales ! Et, s’il attendait Abra, c’était évidemment pour être introduit
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