4 000 ans de mystifications historiques
qui furent accrochées aux cimaises du fameux Rijksmuseum d’Amsterdam.
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La guerre éclata, et ce fut alors que Hermann Goering, qui posait au seigneur de la Renaissance, acheta La Femme adultère , l’œuvre qui mit les policiers hollandais sur la piste de van Meegeren. En 1945, celui-ci fut traduit en justice sous la double inculpation de collaboration avec l’ennemi et de contrefaçon. La première fut abandonnée, sous la pression de l’opinion publique : si van Meegeren avait dupé Goering, il n’était certes pas un collabo ; la seconde demeura et valut à l’artiste un an de prison. Il y peignit un Vermeer de plus pour prouver ses dires ; une visite de son atelier les avait déjà vérifiés. Quand il fut libéré, il était une sorte de héros des temps modernes.
Mystificateur impénitent, van Meegeren fit accroire un temps que les bénéfices réalisés grâce à ses faux avaient servi à secourir des juifs de Hollande et d’Allemagne en difficulté. Cette nouvelle invention ne résista pas longtemps à l’examen des faits.
Ses œuvres ne sont pas disponibles à l’analyse. Ceux qui ont pu les voir rapportent qu’en dépit des techniques perfectionnées utilisées par le faussaire, elles ont bien mal vieilli. Un regard un peu averti confirme les soupçons éveillés par les reproductions : elles n’eussent jamais dû passer un premier examen ; dans La Dernière Cène et dans Les Disciples à Emmaüs , par exemple, tous les visages se ressemblent étrangement ; on croirait qu’ils sont membres de la même famille. Et l’étincelle de vie qui anime les vrais Vermeer en est absente ; le tableau est étrangement morne, les personnages semblent consternés, alors que les retrouvailles du Christ et de ses disciples eussent dû être empreintes de joie.
Cette affaire (60) appelle deux observations : d’abord, le personnage tortueux de van Meegeren ne fut créé que par quelques experts qui abusèrent de leur autorité et s’abusèrent eux-mêmes ; ils furent victimes de l’autosuggestion dénoncée plus haut, qui fut une automystification. Ensuite, les techniques d’analyse actuelle n’eussent jamais permis l’ascension de la carrière d’un van Meegeren.
Mais il faut aussi rappeler que la propension de certains artistes à faire des faux pour affirmer leur talent ne date pas d’hier : ainsi, pour s’attirer les faveurs d’un mécène, le jeune Michel-Ange produisit, à seize ans, un faux antique artificiellement vieilli, un cupidon endormi, qui retint, en effet, l’attention du cardinal De Giorgio ; ce dernier l’acheta. Mais quand l’artiste lui révéla sa supercherie, le cardinal lui en tint rigueur et sa rancune dura longtemps.
1923
Trebitsch Lincoln, juif, diacre, espion nazi
et conseiller des révolutionnaires chinois
L’existence d’Ignatz Trebitsch défierait la crédibilité si elle n’avait fait l’objet de fiches innombrables de maints services secrets, des États-Unis à la Chine, en passant par le Royaume-Uni et l’Allemagne, puis de plusieurs biographies. Sous la forme romancée, elle serait rejetée comme un tissu d’invraisemblances délirantes.
Il est, en effet, difficile de croire qu’un juif hongrois ait pu être ordonné diacre de l’Église d’Angleterre par l’archevêque de Montréal, élu député anglais alors qu’il n’était pas anglais, devenir espion nazi et finir dans la peau d’un moine bouddhiste à Shanghai. Trebitsch Lincoln (ce deuxième nom fut ajouté à l’orée de sa carrière, sans aucune justification familiale) a poussé la mystification jusqu’aux franges de la métaphysique.
La date de 1923 choisie pour son insertion dans ces pages correspond à celle de son apparition dans la politique internationale, mais un parcours de ses activités jusqu’alors sera utile. Car il semble que, dès qu’il eut achevé son adolescence, vers 1895, ce personnage entreprit de tromper le monde environnant.
Ignatz Trebitsch naquit le 4 avril 1879 à Paks, bourgade au sud de Budapest, sur le Danube. Son père, Nathan Trebitsch, était un riche marchand juif, propriétaire d’une flotte de chalands, et sa mère, Irène Freund, était née dans une famille également riche et tous deux étaient pieux et pratiquants. Il était le puîné de six garçons. Il était, rapporte-t-on, impulsif, coléreux et vaniteux.
Sa vie d’adulte commença sous de mauvais auspices : en 1897, son père subit de graves revers de fortune et, la
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