4 000 ans de mystifications historiques
« Cette authenticité, écrit Rosenberg, a même été reconnue par des juifs, en particulier par l’écrivain autrichien Arthur Trebitsch, juif 100 %, mais de tendance très antisémite. Dans son ouvrage principal, L’Esprit allemand ou le judaïsme (Vienne, 1921), il écrit au sujet des Protocoles :
On ne peut avoir le moindre doute sur l’authenticité du livre Les sages de Sion. […] Dans ce livre, le plus précieux de tous, le peuple allemand a enfin tous les arguments nécessaires pour dissiper les doutes et les scrupules une fois pour toutes.
L’invraisemblable est avéré : Trebitsch Lincoln, juif, pousse à la persécution des juifs.
Son triomphe est de courte durée : la mise en échec du pseudo-gouvernement Kapp le fait fuir à Budapest, Vienne et Prague. Mais il a emporté avec lui des documents secrets des conspirateurs allemands, notamment l’ébauche d’une contre-Internationale communiste, l’Internationale blanche, qu’il saupoudre de commentaires personnels ; il les cède au gouvernement tchécoslovaque pour 500 000 couronnes – somme alors assez coquette – et se fait remettre par ce gouvernement de nouvelles pièces d’identité au nom de Thomas Lamprecht.
Se présentant comme l’un des maîtres de l’Internationale blanche, il s’offre le luxe inouï d’exiger une amnistie du gouvernement britannique, faute de quoi il déclenchera « un bain de sang en France ». Ce mythomane et mégalomane intégral fait la une de maints journaux européens et commence à donner des maux de tête aux chancelleries. Ses démêlés avec la justice autrichienne lui valent de passer quatre semaines en prison. Quand il en sort, il part pour Trieste où, en possession de trois passeports – l’un hongrois, l’autre autrichien et le dernier allemand –, il se prépare à aller aux États-Unis. Les autorités consulaires américaines, prévenues par le FBI, lui refuseront un visa. N’importe, il y parvient quand même sous le nom de Patrick Keelan. Identifié à New York, il est expulsé par les États-Unis vers la destination de son choix. Ce sera Tokyo.
*
La véritable destination de Trebitsch Lincoln est cependant la Chine. Il s’installe à Choung King, loin des concessions britanniques, où Scotland Yard aurait la main assez longue pour le faire arrêter. Il se lie avec les généraux nationalistes, dont Chi Hsieh Yuan, et écrit à une ancienne connaissance en Allemagne, le colonel Hans Bauer – celui-là même auquel il a subtilisé les documents vendus à Prague –, pour l’informer que, sur sa recommandation, ce général souhaite l’engager comme conseiller militaire ; il serait utile comme agent double. Entretemps, Trebitsch Lincoln est parti pour l’Europe avec une délégation chinoise chargée de trouver des subsides (ils y obtiennent un contrat de 25 millions de dollars en échange de l’exploitation de mines diverses sous la juridiction du général Chi).
C’est une nouvelle période de succès, sinon de gloire, pour Trebitsch Lincoln : il compte parmi ces nombreux Européens qui servent de conseillers aux diverses factions de la Chine nouvelle en gestation.
Ses errances internationales se poursuivirent, de Chine aux États-Unis, cependant qu’il tentait de récupérer sa nationalité britannique auprès de diverses instances consulaires. En vain. En 1931, à cinquante-deux ans, sans doute lassé de sa propre agitation, après trois ans d’apprentissage, Trebitsch Lincoln est devenu le vénérable Chao Kung, moine bouddhiste errant de concession en concession à Shanghai. La céleste sérénité ne l’incite toutefois pas au repos : il retourne en Europe pour donner des conférences sur le bouddhisme, à Nice et à Berlin, puis ramène avec lui des disciples qui seront consacrés à Pékin, lors d’une grande cérémonie, en présence du corps diplomatique occidental, dont l’ambassadeur d’URSS, et de hauts fonctionnaires chinois.
La mégalomanie et l’imposture s’emparent à nouveau de Trebitsch Lincoln, à supposer qu’elles l’aient jamais déserté : il menace les journalistes occidentaux de représailles contre les missions chrétiennes en Chine, au cas où ses émissaires ne jouiraient pas d’une totale liberté de circulation en Europe. Se prétendant investi du soutien du Panchen Lama, il est cependant salué par la presse internationale comme le fer de lance de la conquête de l’Occident par le bouddhisme.
Il écrit à
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