4 000 ans de mystifications historiques
confusément, mais obstinément, la droite, ni de la gauche – que le Parti communiste prétendit incarner à lui seul pendant des décennies. S’il y eut, pendant les années 1940-1945, un domaine d’où la lutte des classes fut absente, ce fut bien celui de la Résistance. Bien avant la rupture de facto du pacte de Moscou, dit aussi pacte Molotov-Ribbentrop, qui faisait de l’URSS l’alliée du régime nazi, des communistes français entrèrent en résistance, en contradiction formelle avec les proclamations du PCF, aligné sur le « Grand Parti frère » du PCUS (71) . Et, point crucial, pendant les premiers mois de l’Occupation tout au moins, le pétainisme n’excluait nullement la lutte contre l’occupant.
La raison principale de cette fusion nationale était la germanophobie latente depuis la Grande Guerre et qu’entretenaient avec véhémence les courants nationalistes. En témoigne le cas de Jacques-Yves Mulliez, pétainiste et résistant de 1940 à la fin de la guerre, et dont les mémoires n’ont paru qu’en 2010 (72) ; aussi eussent-ils été malvenus dans les années qui suivirent immédiatement la guerre.
Une autre raison de double allégeance à Pétain et à la Résistance, du moins au début de la guerre, était la conviction que « toute division entre les Français faisait le jeu de l’ennemi », pour reprendre les termes de Mulliez. La France n’avait qu’un ennemi, et c’était le III e Reich.
Saint-cyrien, officier des Chasseurs alpins, fait prisonnier dans la Somme, il rejoint « d’instinct » l’armée d’armistice à Vichy et s’y retrouve chargé d’espionner la Wehrmacht dans le Nord, pour le compte de Vichy, mais également des Anglais. Pour lui, ces derniers redevenaient des alliés contre les « Boches », comme en 1914. Des résistants y publiaient déjà un journal clandestin, L’Oiseau de France . Avec les secours de jésuites et de scouts, dont le mouvement avait alors été interdit, il en créa un, Les Petites Ailes , diffusé dans la région de Roubaix et de Tourcoing. Paradoxalement, cette feuille demeurait fidèle à Pétain. Dans une confusion encore très répandue, entre antisémitisme et collaboration avec l’ennemi, certains commentateurs omettent souvent de préciser que Pétain avait refusé toute collaboration militaire avec le III e Reich (il renouvela ce refus en 1941 par le rejet du Protocole de Paris, qui prévoyait le rapatriement de quatre-vingt-trois mille prisonniers contre la collaboration militaire en Afrique du Nord). Pour une écrasante majorité de la nation, il demeurait le gardien de l’État français, et la loyauté que lui conservaient de nombreux militaires est illustrée, entre autres, par le général Weygand qui, en mai 1941, refusa de remettre aux Allemands les bases militaires sous son commandement.
Alarmé, raconte-t-il, par l’arrestation de membres de sa famille dans le Maine-et-Loire, Mulliez suspendit la publication des Petites Ailes en août 1941 et en transmit la responsabilité à Henri Frenay, qui avait déjà rompu avec Vichy en janvier de cette année-là. La feuille clandestine devint Combat , d’illustre mémoire.
Le discours de Pétain à Vichy en août 1941 contre « le vent mauvais » qui soufflait en France – c’était la Résistance – mit un point d’arrêt aux aspirations de nombreux pétainistes à la Résistance et entraîna dans l’opinion un clivage qui se changea rapidement en antagonisme. Dans l’étroitesse de vues d’un esprit déjà sénile et toujours jaloux de ses prérogatives, Pétain ne saisissait sans doute – dans la mesure où il en était informé – ni l’ampleur, ni l’importance croissante que la Résistance revêtait pour l’Allemagne, et il ne tolérait pas qu’une initiative nationale lui échappât. Toujours fut-il que, pour la grande majorité des résistants aussi bien que pour l’opinion publique, surtout après la guerre, on ne pouvait être à la fois pétainiste et résistant. De nombreuses exceptions demeurèrent toutefois, notamment Mulliez qui, deux ans plus tard, participa à des réseaux en Dordogne et en Savoie.
La Résistance ne fut pas plus un mouvement homogène qu’elle ne fut un courant stable. Elle évoque bien plus une galaxie animée de mouvements violents qu’une paisible constellation.
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Un autre exemple, encore plus significatif que celui de Mulliez, fut celui d’André Girard, créateur d’un réseau de
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