4 000 ans de mystifications historiques
résistance qui demeura méconnu de l’opinion, à l’exception des spécialistes de ce domaine. Germanophobe, mais aussi anglophobe, antigaulliste obstiné, pour ne pas dire forcené, Girard se-servit de ses connaissances mondaines pour fonder un réseau nommé Carte qui, au milieu de l’année 1942, était considéré par le SOE (Special Operations Executive) britannique comme le plus important en zone libre. Après la suppression de la ligne de démarcation, le 11 novembre de cette année-là, les Allemands signalèrent à leur tour le réseau Carte comme l’un des plus dangereux avec les trois réseaux, plus connus, Combat, Franc-Tireur et Libération (selon le rapport Kaltenbrunner à Hitler du 4 juin 1943). Fort mal informé, Kaltenbrunner décrit le réseau Carte comme… gaulliste.
Girard acquit une influence qui lui permit de traiter avec des chefs confirmés tels que Frenay et Emmanuel d’Astier. Sur ses instances extrêmes, une station de radio clandestine, Radio-Patrie, fut même créée à Londres par les Anglais et œuvra avec acharnement à évincer le général de Gaulle de l’attention de ses auditeurs d’outre-Manche.
Carte avait rallié des résistants d’extrême-droite d’origines diverses, d’anciens cagoulards comme Pierre Le Maresquier et Jules Davet, des royalistes comme Pierre Guillain, ex-cagoulard, dit Guillain de Bénouville, qui tout en se revendiquant résistant écrivait dans le journal L’Alerte des articles à la gloire du maréchal ; il ne restait pourtant à ce dernier que des bribes de pouvoir (l’armée d’armistice de cent mille hommes, en fait quatre-vingt-cinq mille, avait alors été réduite par les Allemands à trois mille) et dont l’honneur était de plus en plus compromis.
Autre preuve d’une collusion entre certains résistants et les vichystes, Girard obtint de Pierre Pucheu, ministre de la Guerre du gouvernement de Vichy, l’élargissement de certaines de ses recrues internées par l’État français (les internements sans jugement étaient alors autorisés).
À partir de la fin 1943, cependant, le réseau Carte se désagrégea. Les exigences et les exagérations de Girard lui valurent un brutal retrait de la confiance anglaise. Son agressivité à l’égard du général de Gaulle avait déjà suscité à Londres des difficultés croissantes avec la France Libre. Déjà ulcéré par les constantes manœuvres américaines pour l’évincer au profit d’un Darlan, d’un Weygand ou d’un Giraud, de Gaulle était outragé par la teneur des émissions de Radio-Patrie, qui ne le mentionnaient même pas. Un émissaire du SOE fut chargé d’évaluer ce que représentait vraiment le réseau Carte. Girard prétendit de surcroît qu’il avait cent mille hommes à sa disposition, ce qui était une exagération monumentale : il n’en comptait que quelque trois mille. Le SOE interrompit ses envois d’argent et d’armes. Pour un historien tel que Michael Foot (73) , Girard était un imposteur. Pour le colonel Passy (74) , le bilan du réseau Carte ne pourrait être établi que lorsque tous les documents dormant dans les archives britanniques auraient été publiés. Pour André Gillois, ç’aurait été « une mystification de mauvais goût ». Elle ne fut certes pas la seule de la Résistance, mais il demeure bien difficile de distinguer entre les mystifications et les mensonges de cette période trouble entre toutes, dont émergea pourtant la France Libre. Ce ne fut que plus de soixante ans après la Libération qu’un ouvrage fut enfin consacré à André Girard et au réseau Carte (75) ; il ne suffit cependant pas à éclairer de nombreux autres aspects de l’histoire de la Résistance.
*
Un long ouvrage suffirait à peine à décrire les dilemmes de milliers d’hommes et de femmes qui, après l’armistice, se trouvèrent déchirés entre la loyauté à l’autorité légitime de l’État, représentée par Pétain, et l’appel à poursuivre la guerre contre un ennemi qu’ils estimaient héréditaire et qui détruisait l’identité française. Pour eux, Pétain n’était pas et ne pouvait pas être un traître, mais trop de ses collaborateurs entretenaient des rapports douteux avec le III e Reich ; rejoindre les maquis équivalait à plonger dans un monde dont ils ne savaient pas grand-chose et qu’ils soupçonnaient d’être commandé par un autre ennemi, le communisme, ou par un militaire en rupture de ban et dont
Weitere Kostenlose Bücher