4 000 ans de mystifications historiques
circonstances de ce sacre furent confuses et même tortueuses pour deux raisons principales. D’une part, ce pontife était autant contesté par le clergé franc que par le peuple de Rome (à l’époque, les papes étaient élus par le peuple et le clergé) ; il avait même failli, en 799, être écharpé par la foule, en raison des accusations de débauche et de parjure qui pesaient sur lui. D’autre part, cette consécration fut préparée en grand secret. Pourquoi ? Parce qu’il existait déjà un siège impérial à Byzance et qu’une telle initiative risquait de déclencher une guerre. En effet, l’Empire romain d’Occident avait disparu en 476.
Conseillé par deux théologiens demeurés célèbres, Anguilhard et Alcuin, Charlemagne prépara donc son coup en secret, avec la complicité de Léon III, qui avait tout intérêt, pour rétablir son prestige, à être celui qui couronnerait l’empereur. Il se rendit dans les parages de Rome comme s’il était là pour des raisons militaires. Et, soudain, le 25 décembre, coup de théâtre ! Charlemagne est couronné empereur (de manière détournée, d’ailleurs, car selon le protocole, c’était le pape seul qui lui avait conféré cette dignité suprême).
Ce coup de théâtre était aussi un coup fourré, et Byzance s’apprêta d’ailleurs à contester la légitimité de Charlemagne. Mais il eût fait beau voir aux derniers siècles qu’on en instruisît le public et surtout les écoliers : c’eût presque été un crime de lèse-majesté posthume.
Ainsi se creusa un fossé entre les Empires romains d’Orient et d’Occident.
Quant à l’exemple politique paternel de Charlemagne, il fut désastreux : la folle arrogance et la brutalité de son unique héritier, Louis le Pieux, disloqua définitivement, en 840, l’empire si péniblement assemblé. Digne fils de son père, ce dernier fit crever les yeux de l’un de ses neveux, Bernard d’Italie, qui avait osé contester l’ ordinatio imperii , plan de partage de l’empire. Guère un modèle pour des écoliers non plus.
Un formidable malentendu règne au sujet d’un autre surnom de Louis le Pieux, le Débonnaire. Il a donné à penser que ce monarque aurait été d’un naturel conciliant. Rien de tel : en vieux français, le mot signifie « de bonne souche », de bonne aire. Louis le Pieux n’était pas plus accommodant que son père.
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L’image d’Épinal de Charlemagne est généralement assortie d’un autre héros de légende, Roland. En 778, Charlemagne lança une offensive contre les Sarrasins à Saragosse. Ce fut un désastre : l’arrière-garde de l’armée fut anéantie par les Basques, exaspérés par la destruction des murailles de leur grande cité, Pampelune, mais une fois de plus, comme dans la légende de Charles Martel, les Basques devinrent des Sarrasins. Le chroniqueur contemporain Eginhard cite trois victimes, dont « Hruodlandus, le préfet de la marche de Bretagne » et c’est tout. Pas question de Roncevaux. De ces trois mots jaillit la légende du preux Roland, jouant du cor avant sa mort, que le poète Turold raconta vers 1150 dans les milliers de vers de « La Chanson de Roland ».
La chevalerie inspirait déjà des romans. Et les cœurs de maintes générations se gonflèrent d’émotion au récit d’une invention où les Sarrasins tenaient le rôle des légions de l’enfer.
855
La papesse Jeanne,
une mystification pluriséculaire
En 855, entre les pontificats de Léon IV (847-855) et de Benoît III (855-858), s’en serait inséré un troisième, celui d’un certain Johannes Anglicus, qui aurait été en réalité une femme. Dans une des versions de l’histoire, car il y en a plusieurs, elle serait née à Mayence ou Ingelheim, en Allemagne, des œuvres d’un moine natif d’Angleterre. À dix-huit ans, elle se serait éprise d’un clerc de l’abbaye de Fulda qu’elle aurait suivi à Athènes. Là, les deux amants auraient fait des études savantes. Le clerc étant mort, Jeanne aurait revêtu par commodité des habits d’homme et aurait voyagé pendant plusieurs années. Elle serait allée à Londres, puis à Paris où elle aurait remporté le titre de docteur, puis à Rome, où sa science lui aurait valu une chaire de hautes études, le quadrumvir . Devenue prêtre, toujours sous son déguisement d’homme, elle aurait reçu le chapeau de cardinal, puis aurait été élue pape sous le nom de Jean VIII et aurait gouverné
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