4 000 ans de mystifications historiques
premières visions célestes : étrange coïncidence, c’est en 1422, date de la mort de Charles VI (elle n’aurait eu treize ans révolus que le 6 janvier 1423). Une nouvelle hypothèse surgit : dans ces semaines cruciales, quelqu’un, indigné de la vacance du trône, aurait informé Jeanne de ses origines. Qui ? Ce pourrait être le père Minet, curé de Domrémy, qui accompagnait Jeanne quand elle allait porter des gerbes de fleurs à la cathédrale de Notre-Dame de Bermont ; les ecclésiastiques du temps ont, en effet, un sens politique aigu. Ce pourrait être aussi un Armagnac, furieux du revirement d’Isabeau de Bavière, passée de son camp à celui des Bourguignons, et décidé à contrarier ses intrigues. L’Armagnac (on ne peut exclure que ç’ait été l’évêque lui-même) et le curé auraient ainsi réparé l’infortune du dauphin Charles. En propulsant au premier plan cette fille rebelle et illuminée, dont ils connaissent peut-être le secret de naissance, ils défendraient ainsi la cause des Valois et remédieraient au désarroi de Charles.
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Érudits ou traditionnels, les récits de la jeunesse de Jeanne sont eux aussi suspects d’avoir été embellis a posteriori par les auteurs de sa légende.
Reprenons les visions de Jeanne : d’abord, elles sont annoncées par l’archange Michel. Pourquoi lui et pas Gabriel ou Raphaël ? Parce qu’il est le protecteur de l’Église et l’annonciateur des grands mystères, selon saint Grégoire. Quant à Catherine et Marguerite, elles ne font pas partie des saints du calendrier, qu’à l’époque on révère couramment dans les campagnes. Pourtant, ce sont bien elles que Jeanne a distinguées dans le ciel (ou l’inverse). Ce ne peut être que parce que le père Minet lui en aurait raconté l’histoire. Elle se serait ainsi persuadée en être la parèdre terrestre. Fille de roi, elle en suivra l’exemple et sera sainte, elle aussi. Et c’est là que sa piété exaltée joue pleinement son rôle.
Quatre ans durant, l’idée d’une mission divine aurait donc enflammé Jeanne, jusqu’à l’entrevue de Chinon.
Mais le secret qu’elle livrera à Charles sur sa légitimité ne lui a pas été dicté par le ciel. Comment le connaîtrait-elle ? Les ecclésiastiques de l’époque savent beaucoup de choses. Il en est certainement un, aumônier ou confesseur attaché à la maison de Charles VI, qui sait que le roi n’a pas eu de rival amoureux en cette année 1403 où le dauphin est né. Louis d’Orléans, l’amant d’Isabeau, était trop occupé à en découdre avec Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, lors de cette guerre civile qui déchira le pays. Il n’est réapparu qu’en 1405, quand il a entraîné la reine et le petit Charles, alors âgé de deux ans, à Juvisy, où ils seront plus en sécurité qu’à Paris. Cela seul suffirait à établir la légitimité de Charles, contre toutes les allégations de sa mère.
Une question aussi importante qu’une succession royale aura alors incité cet ecclésiastique à faire part de son secret à un collègue. Peut-être l’évêque de Vaucouleurs ou un Armagnac qui en informera le père Minet et l’instruira de la conduite à tenir.
Dans quel but l’aurait-il fait ? Outre la réprobation du comportement conjugal d’Isabeau et de sa cynique injustice à l’égard de son fils, la déshérence de la maison de Valois risque d’entraîner des suppressions de charges, des changements de diocèses et des conflits sur les terres attachées. Il est essentiel que le dauphin Charles relève les armes de son père.
De surcroît, cet ecclésiastique n’est certes pas le seul au fait des origines de Jeanne. Une bâtarde royale, même si c’est une fille, n’est pas un secret négligeable ; il est partagé. Pendant les quatre ans qui séparent la révélation de ses origines faite à Jeanne de l’entrevue de Chinon, l’idée de sa mission « divine » serait forgée dans l’esprit de la jeune fille.
Bien des gens sont favorables à ce que le dauphin relève le défi de sa mère, à commencer par des membres de la maison d’Anjou, à laquelle Charles était lié par mariage, et qui se désolait de l’indolence quasi neurasthénique du dauphin ; ils n’ont pu réserver qu’un accueil chaleureux à Jeanne.
Il est, en effet, surprenant que Charles ait si rapidement introduit celle-ci dans sa maison privée. Après qu’il l’eut envoyée se faire examiner par un
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