4 000 ans de mystifications historiques
sont empressés d’en déduire qu’il s’agissait du Seigneur. Mais Jeanne aurait-elle maîtrisé si mal le français d’alors qu’elle aurait désigné Dieu par « Messire », formule honorifique alors accolée aux noms des grands personnages terrestres, mais jamais de Dieu ? Aurait-elle, si pieuse, ignoré le mot de « Roi du ciel » ? Se serait-elle faite la messagère de Dieu, alors que c’étaient les saintes Catherine et Marguerite dont elle avait eu des visions, et non Jésus ? Ou bien était-elle la messagère d’un messire qui était un prince de ce monde et dont Charles connaissait l’identité ? Cette histoire frise l’incohérence tout du long.
Incidemment, pourquoi Jeanne rêve-t-elle des saintes Catherine et Marguerite en particulier ? Relevons que l’une et l’autre – depuis rayées du calendrier – étaient d’origine royale : la première était fille de roi, la seconde, de prince. Cela est singulier et même significatif.
Reste aussi à savoir quel était ce message que Jeanne n’a jamais révélé, qui lui avait valu le soutien de Charles II de Lorraine et qu’elle livra donc au dauphin pendant ces deux heures d’entretien. Il est quand même bizarre que rien n’en ait jamais filtré.
Rien ne change en tout cas la portée de la déclaration de Jeanne à Charles : en lui affirmant qu’il doit succéder à son père Charles VI, elle défait l’intrigue d’Isabeau de Bavière. C’est une solennelle déclaration de guerre.
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Les essais d’explication n’ont pas manqué. Le plus connu est que Jeanne aurait été une fille naturelle d’Isabeau de Bavière et du duc Louis d’Orléans ; dans ce cas, elle serait à la fois demi-sœur et cousine du dauphin. Mais l’hypothèse ne tient pas chronologiquement : Jeanne est présumée née le 6 janvier 1412, alors que Louis d’Orléans est mort assassiné en 1407. Isabeau n’était certes pas en peine d’amants, et ses amours parallèles auraient pu produire une fille dont elle se serait trouvée assez embarrassée pour la confier à une famille accueillante. Jeanne n’aurait pas été le seul enfant naturel du temps et des siècles suivants qui aurait été confié à des parents adoptifs parce que son existence aurait contrarié de trop puissants intérêts. Mais nul n’a trouvé d’explication plausible au rejet d’une fille par Isabeau de Bavière.
On a tenté de reculer la naissance de Jeanne à 1407, année où Isabeau de Bavière était enceinte. Cette grossesse était bien réelle : mais l’enfant qui vit le jour le 10 novembre de cette année-là était un garçon, Philippe, qui serait mort en bas âge. Or il ne mourut pas, comme on le verra plus bas.
Une autre hypothèse mérite l’intérêt : c’est que Jeanne ait été la fille de Charles VI lui-même. Et qui aurait été la mère ? Peut-être la charmante maîtresse dont l’histoire s’est trop peu souciée, Odinette de Champdivers, que Jean sans Peur lui avait présentée pour le distraire de la politique. Et là, les dates correspondent : Odinette est entrée dans le cercle intime de Charles VI à la fin de l’année 1410, et l’on sait qu’elle lui a donné une fille dont nul n’a plus jamais entendu parler.
Les fameuses – ou fumeuses – visions des saintes Catherine et Marguerite prennent ici une signification particulièrement pertinente, puisque les deux élues et déchues étaient de sang royal. Jeanne serait une fille naturelle de Charles VI et d’Odinette, dont Isabeau aurait trouvé moyen de se débarrasser en la confiant à une famille d’adoption. Où donc ? Justement en Bourgogne, où elle conserve encore des complicités. Et n’oublions pas que Domrémy présente un statut exceptionnel : ce village appartient à la couronne royale, statut confirmé par Charles VI en 1381. Coïncidence oubliée trop facilement : Louis de Guyenne, le frère de Charles VII, avait eu pour précepteur… Guillaume d’Arc.
On comprendrait alors bien mieux que Jeanne, bâtarde royale, témoigne si peu de sens familial : elle n’a cure de la volonté de son père supposé, de sa mère, de son frère, de sa famille et, travestie en homme, ce qui est alors un scandale majeur, part fougueusement défendre le dauphin comme s’il appartenait, lui, à sa vraie famille.
À quel moment Jeanne aurait-elle appris sa royale origine et décidé de passer à l’action ? À l’évidence, vers sa treizième année, celle de ses
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