4 000 ans de mystifications historiques
collège de théologiens à Poitiers et que celui-ci l’eut approuvée, il l’installe à Tours dans la même maison que la dame de cour de sa belle-mère, Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou et reine de Naples-Sicile. Puis il lui attribue une suite où l’on compte le confesseur Jean Pasquerel, un écuyer, Jean d’Aulon, et deux pages, et il la nomme commandant de compagnie avec sa propre bannière. Enfin, il lui offre une armure, objet alors coûteux. Une armure blanche, rapporte la tradition ; sans doute la fit-elle peindre.
Voilà décidément beaucoup d’honneurs pour une prétendue bergère lorraine. La générosité de Charles évoque plutôt la façon dont on traite une personne qui vous a été recommandée, un neveu, un cousin, ou en tout cas une personne de haute naissance.
Et comment négliger le fait que Yolande, duchesse d’Anjou, est elle-même liée à la famille royale d’Angleterre, puisque Henri II Plantagenêt était comte d’Anjou ? Et que le dauphin et sa cour se trouvaient justement aux portes du comté d’Anjou quand ils reçurent Jeanne ? Tout indique qu’une intrigue dynastique a renforcé le plan du clergé pour pousser Jeanne dans le cercle du dauphin.
En tout cas, le premier intéressé n’a pas cru au fatras surnaturel qui, dans la légende, entoure à ce jour le personnage de Jeanne d’Arc. Les rois de l’époque sont souvent dévots, parfois superstitieux, mais rarement jobards. On le vérifie à la prudence avec laquelle le dauphin fait d’abord effectuer une enquête de moralité sur Jeanne d’Arc, à Domrémy, avant de la faire interroger par des théologiens.
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La suite des faits ne correspond pas davantage à la légende. La bataille d’Orléans ne revêtit aucun caractère miraculeux ; la ville était puissamment fortifiée et équipée de deux cent cinquante canons, c’est-à-dire qu’elle aurait pu résister longtemps aux Anglais. D’où les lourds et lents préparatifs entrepris par ceux-ci pour leur siège : ils l’avaient entourée de fortins ou bastilles qu’ils croyaient imprenables. Mais les Orléanais, placés sous le commandement de Dunois, le « Bâtard d’Orléans » (un de plus), et d’Étienne de Vignoles, dit La Hire, manquaient de détermination. Pour qui donc se battraient-ils puisqu’ils n’avaient pas de roi ? Ce que Jeanne apporta à la ville était une détermination nouvelle.
Elle apportait aussi les quatre mille hommes que le dauphin avait fait lever à Tours, et qui se mirent donc en marche vers Orléans, suivis par un cortège de prêtres – ce qui prouve la participation du clergé – et un troupeau de bétail. Jeanne traversa la Loire à la tête de ses troupes, puisqu’elle était donc devenue capitaine, dans la nuit du 28 avril. Elle coucha chez Jacques Boucher, trésorier du duc d’Orléans, l’oncle du dauphin. Après deux ultimatums aux Anglais, le 5 mai elle donna l’assaut.
Ses quatre mille hommes étaient l’exact équivalent des forces anglaises. Ils emportèrent la bastille des Augustines, puis les Tourelles, qui commandaient la tête du pont, et le 8 mai, deux mois à peine après l’entrevue de Chinon, le siège d’Orléans était levé. Sur leur lancée, Jeanne et ses troupes libérèrent ensuite Jargeau et Beaugency, défirent une nouvelle fois les troupes anglaises à Patay, firent prisonniers le comte de Suffolk et sir John Fastolf. Les Anglais qui traînassaient depuis des semaines, trop sûrs d’emporter la mise, avaient été surpris par ce déferlement de fougue.
En aucun cas on ne peut parler de la « libération » d’Orléans, la ville n’ayant jamais été occupée.
Jeanne s’était battue vaillamment, mais peu d’historiens contesteront qu’elle n’aurait pas remporté la victoire sans les La Hire, Xaintrailles, Gaucourt et autres capitaines, dont la détermination fut égale à la sienne. On omet généralement de rappeler que parmi ces héros figure Gilles de Rais, dont la rage au combat a stupéfait les Anglais et qui est déjà un homosexuel notoire. Mais le dauphin ne va pas renvoyer pareil champion pour quelques peccadilles, Gilles de Rais est très riche et paie ses soldats. Et, depuis la rencontre de Chinon, lui et Jeanne étaient devenus frères d’armes.
Le renversement de la situation militaire était dû à des raisons morales : Jeanne avait surtout rendu la confiance au camp du dauphin ; ainsi put-elle, à Gien, convaincre celui-ci d’infliger à
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