4 000 ans de mystifications historiques
sa mère le camouflet suprême et de se faire sacrer à Reims. Lors de la cérémonie dans la cathédrale, le 17 juillet, elle se tenait à droite derrière lui, bannière en main, privilège extraordinaire et témoin de son rang nouveau. À gauche se trouvait Gilles de Rais.
Jeanne choisira ce dernier pour l’offensive contre Paris : le roi ne l’a-t-il pas nommé maréchal de France ?
Si l’on s’obstine à prétendre que Jeanne avait libéré la France, il faudrait alors en exclure Paris. Car la ville, aux frontières des duchés de Normandie et de Champagne, donc dans le camp bourguignon, célébra bruyamment la nouvelle de sa mort sur le bûcher : elle ne faisait pas partie du royaume des Valois.
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Les événements ultérieurs ont été estompés et déformés, une fois de plus, par la légende.
Dans la version ordinaire de celle-ci, Jeanne d’Arc fut condamnée au bûcher par le bien-nommé évêque Pierre Cauchon, créature des Anglais et voué par la suite à l’opprobre éternel. Archi-faux : c’était l’Église qui réclamait Jeanne, alors aux mains des Anglais. Ceux-ci mirent d’ailleurs un temps à la lui livrer. Le pouvoir ecclésiastique, bien plus puissant que celui que nous connaissons de nos jours, s’alarmait de cette prophétesse autoproclamée, qui estimait ne pas avoir besoin de lui pour aller au ciel, ses interrogatoires l’ont assez démontré. L’Église était déjà en guerre contre les hérésies qui la menaçaient, comme les Hussites de Bohême, dont elle dépêcha le meneur, Jean Hus, au bûcher lui aussi, parce qu’il avait soulevé les foules contre les abus des clercs ; pareillement, ils brûleront deux Bretonnes qui allaient partout clamant l’innocence de Jeanne.
L’Inquisition aurait voulu faire un exemple en dressant le procès de la Pucelle.
Aussi Cauchon, qui incidemment venait d’être chassé de son siège de Beauvais, lorsque l’armée du dauphin avait libéré cette ville après Compiègne et Senlis, s’entoura-t-il d’un formidable appareil juridique ecclésiastique. Son tribunal comportait dix membres de l’université de Paris, Bourguignons convaincus, et vingt-deux docteurs en droit canon venus de Rouen, également Bourguignons. Car il s’en faudrait que le reste du pays se soit félicité de la « libération de la France ». D’abord, ce n’était pas leur France, ensuite ils n’avaient que piètre estime pour les Valois : le feu roi Charles VI avait été un fou, sa veuve était une mégère combinarde, infidèle et lubrique, et le roi qui venait de se faire sacrer à Reims sous le nom de Charles VII présentait tous les caractères d’un débile physique et mental. À preuve, il avait fallu une femme, une bergère disait-on, illuminée et travestie, pour le sortir de sa mauvaise passe. Forts de leurs préjugés moraux et politiques, ils considéraient donc que toute cette affaire fleurait le scandale.
Mais pourquoi les Anglais auraient-ils livré Jeanne à l’Église et non pas à leurs tribunaux ? Parce qu’ils s’étaient avisés que c’était la meilleure manière de détruire l’aura prestigieuse et quasi surnaturelle qui l’entourait et qui risquait de se répandre dans le pays. Et cela, seul un tribunal spirituel pouvait le faire.
L’affaire Jeanne d’Arc serait donc l’un des premiers exemples de guerre psychologique dans l’histoire.
Capturée à Compiègne avec ses frères Jean et Pierre, à la suite d’une bévue de Guillaume de Flavy (il avait fait lever le pont-levis de la ville avant que Jeanne fut rentrée), l’inculpée était en mauvais état de santé : elle avait été une première fois atteinte par une flèche à l’épaule, lors du siège d’Orléans, puis d’une autre à la cuisse, lors du siège de Paris. De plus, elle était éprouvée par une longue incarcération. Peut-être aussi était-elle démoralisée par le comportement de celui qu’elle avait fait sacrer roi : seul dans le conseil de Charles VII l’archevêque d’Embrun demanda qu’on allât la libérer. Le roi, lui, semblait étrangement indifférent au sort de Jeanne.
Contrairement à une interprétation courante et biaisée, Cauchon n’était pas du tout décidé depuis le début à condamner Jeanne d’Arc. Les actes du procès, conservés à ce jour, en attestent (ils se trouvent dans les archives de l’Assemblée nationale) : il laissa à l’inculpée la possibilité de se racheter en reconnaissant
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