4 000 ans de mystifications historiques
Baudricourt. Il n’ira pas lui-même au secours du dauphin, mais il consent à ce qu’elle aille lui parler. Apprenant le projet, la ville de Vaucouleurs se serait enthousiasmée pour Jeanne et lui aurait offert un cheval, cadeau coûteux ; elle aurait alors échangé ses habits contre une tenue de page – toujours ce goût du travestissement – et serait partie vers l’est, grâce aux fonds avancés par Jean de Metz et Bertrand de Poulengy. Baudricourt lui aurait alors donné une épée en lui disant : « Va, et advienne que pourra. »
Pour dévots qu’ils soient, tous ces gens n’ont pas prêté leur concours matériel et financier sur la foi de visions de saintes endiamantées.
Le geste de Baudricourt mérite commentaire : les règles de la chevalerie interdisent qu’on donne une épée à un manant, et la donner à une femme, encore plus à une femme travestie en homme, évidemment contraire aux bonnes mœurs, est inédit. Cela tend à confirmer que Jeanne aurait invoqué un argument de poids. Personne ne le connaîtra jamais.
Elle dispose alors d’une petite escorte. Voyageant de nuit, elle et ses soldats échappent aux Anglais et aux maraudeurs bourguignons, passent Saint-Urbain, Auxerre, Gien et arrivent à Fierboys. Jeanne écrit alors au dauphin pour lui demander audience et lui faire part d’une information qu’elle seule possède.
La rencontre de Jeanne d’Arc et de Charles, le 6 mars 1429, présente tous les signes d’un plan mûrement prémédité ; elle vient de la Champagne, sous domination anglaise, pour se rendre à Chinon, à plus de six cents kilomètres, à la lisière des comtés d’Anjou et de Poitou.
C’est un long voyage, qu’à moins d’être une folle illuminée suivie de grands délirants, on n’entreprend pas sans un motif solide ; il dure bien une quinzaine de jours à cheval. Or, tout montre qu’en dépit de ses visions la bergerette témoigne d’astuce autant que de ténacité. Elle n’hésite pas à braver les coutumes et les convenances ; ajoutant à ses autres infractions, elle a quitté le foyer familial contre le consentement de son père, qui avait déclaré qu’il préférerait la noyer que la laisser partir à l’aventure. C’est du moins ce qu’on racontera par la suite, lorsqu’il s’agira d’étoffer cette laborieuse fiction.
En tout cas, ce n’est pas en bêlante bergère envoyée par le ciel que Jeanne d’Arc se présente à Charles, mais l’épée à la ceinture. Les chevaliers qui entourent le dauphin se demandent que penser de ce joli jeune homme introduit par Louis de Bourbon, comte de Vendôme.
« Je te le dis de la part de Messire que tu es le vrai héritier de France et fils du roi », déclara-t-elle à Charles. Sur quoi Charles et Jeanne s’entretinrent pendant deux heures.
Pendant des siècles, une utilisation abusive a été faite et refaite des mots de Jeanne, véritable adoubement royal du dauphin. Or, l’on oublie que la France dont elle parle est le royaume des Francs, et l’on interprète ses paroles comme une préfiguration de ce que sera la France de Richelieu. L’on s’appuie pour cela un peu trop commodément sur l’hypothèse d’une inspiration divine, sans trop songer que celle-ci aurait exclu la Bretagne, la Champagne et la Bourgogne de la France imaginaire.
Et l’on tend également à oublier que deux femmes d’outre-Manche, deux « Françaises », Marguerite d’Anjou et Marguerite de Bourgogne, jouèrent des rôles très importants dans l’histoire d’Angleterre. Nul ne songerait à dire que le premier Tudor « libéra » l’Angleterre.
Historiens et mythologues ne se sont pas interrogés non plus sur l’incongruité monumentale de l’affirmation de cette Lorraine déclarant tout de go au dauphin, à son entrée dans la cour de Chinon, qu’il est un fils légitime de son père. Que peut-elle en savoir ? En admettant même qu’elle ne fût pas bergère, mais fille de paysans aisés (son père, Jacques d’Arc, était quasiment maire de Domrémy, et lui et sa famille habitaient le château de l’Île), de quoi se mêlait-elle ? Ce n’était certes pas le ciel qui lui avait révélé le secret de la naissance d’un prince des Valois. L’adresse de Jeanne à Charles est essentiellement politique : elle le somme quasiment de passer à l’action.
Mais la formulation même en est étrange. Comme aucun nom ne suivait « Messire », chroniqueurs, historiens et mythologues se
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