4 000 ans de mystifications historiques
Jeanne ? Philippe d’Orléans, le bâtard d’Isabeau et de Louis d’Orléans, commodément déclaré mort parce que toute la cour savait qu’Isabeau n’avait pas partagé la couche de Charles VI depuis deux ans. Mais il naquit bien le 10 novembre 1408.
On a beaucoup répété que Jeanne fut examinée pour savoir si elle était fille ou garçon, ce qui prouverait que le personnage exista bien et qu’il n’avait pas vraiment l’apparence d’une fille. Il est plus vraisemblable que cet examen ait été une légende destinée à répondre à des rumeurs selon lesquelles les exploits du personnage appelé Jeanne ne correspondaient pas à ceux d’une fille ; la maison royale aurait donc rétorqué que la donzelle avait bien été examinée, que c’était une fille et qu’elle était vierge. Mais il est révélateur que le premier de ces examens supposés ait été effectué à la requête de Yolande d’Aragon, la propre belle-mère de Charles VII, qui avait tout intérêt à ce que le peuple crût à la réalité de Jeanne d’Arc.
Bien évidemment, Philippe d’Orléans ne se déguisa jamais en fille, puisque cette fille n’existait pas. Mais, détail singulier et significatif, il est dit que « Jeanne » portait une livrée aux couleurs des Orléans. Or elle n’avait aucune raison de porter les couleurs de cette maison, puisqu’elle était au service d’un Valois. L’explication la plus plausible est que le personnage masculin qu’on a, à l’époque, désigné comme étant la mythique Jeanne était en fait Philippe d’Orléans.
Quel aurait été le sens de ce montage ? Créer la légende d’un personnage providentiel susceptible d’asseoir l’autorité de Charles VII. Par qui fut-il perpétré ? Par Yolande d’Aragon et Philippe d’Orléans.
Incidemment, il y eut une certaine Jeanne d’Arc qui était suivante d’Isabeau de Bavière. Elle servit de modèle pour le personnage de l’intrigue royale. Mais ce n’était certes pas celle qu’on a cru.
*
Le rôle de l’Église dans la genèse du mythe de Jeanne d’Arc fut sensiblement différent de celui qui est souvent décrit. En 1456, après enquêtes à Domrémy et auprès de tous ceux qui avaient connu la Pucelle – Dunois, Jean d’Aulon, Jean II, duc d’Alençon et d’autres –, le Grand Inquisiteur Pierre Bréhal publia un long mémoire concluant à l’orthodoxie de Jeanne d’Arc ; le 16 juin 1456, le jugement de 1431 fut annulé par le pape Calixte III, au dépit des Anglais ; c’était là un geste de conciliation à l’égard de Charles VII, qui avait mal pris le procès religieux de sa femme-lige, comme on le verra plus bas. Mais Jeanne ne fut béatifiée que quatre siècles et demi plus tard, en 1906, pour parer à la vague de laïcité militante qui déferlait sur l’Europe. N’avait-elle pas montré que les voix du ciel intervenaient dans les affaires des nations ? Et elle ne fut canonisée qu’en 1920, par Benoît XV.
Pourquoi un délai aussi extraordinaire ? Il révèle un scepticisme tenace de l’Église à l’égard des grâces célestes de l’héroïne nationale et sa grande répugnance à la réhabilitation d’une hérétique. On ne recensait aucun miracle qu’elle eût déclenché, aucune guérison merveilleuse. Puis les théologiens du Sacré Collège restaient réservés sur la vraisemblance d’une intervention céleste dans la politique des nations. Admettre cette intrusion du ciel dans la politique eût risqué d’entraîner bien des abus. Si les chefs de guerre allaient, eux aussi, se proclamer délégués par saint Michel ou saint Georges, l’Église y perdrait son latin. C’était exactement la raison inverse de celle pour laquelle Jeanne avait été canonisée. Nos théologiens avaient donc oublié le signe céleste qui avait donné la victoire à l’empereur Constantin, In hoc signo vinces !
Par la suite, l’Église s’employa à pasteuriser autant qu’elle pouvait l’histoire de la Pucelle et à gommer le rôle qu’elle y avait joué.
Charles VII garda rancune à la hiérarchie catholique de son parti pris dans le procès de Jeanne : non qu’il demeurât fidèle au souvenir de la Pucelle, mais parce que ce procès contestait insidieusement sa légitimité… Ses adversaires clameraient, en effet, qu’il avait dû son trône à une sorcière ! En 1438, la Pragmatique Sanction de Bourges affirma que l’autorité des évêques réunis en concile était
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