4 000 ans de mystifications historiques
supérieure à celle du pape et conféra au roi le droit d’intervenir dans leur nomination.
Cauchon, lui, on l’ignore souvent, mourut prospère : en 1432, l’année suivant le martyre de Jeanne, le Saint-Siège le nomma évêque de Lisieux ; au Congrès d’Arras, il déclara qu’Henri VI était le roi légitime de France, ce qui faillit lui coûter cher en 1436, quand les Français prirent Paris, où il se trouvait. Cela révéla incidemment les préférences politiques de l’Église.
Ses restes reposent dans la somptueuse chapelle de la Vierge, à Lisieux. Peu d’écoliers de la République en sont informés : ils continuent jusqu’à nos jours à couvrir de sarcasmes le nom infortuné de celui qu’ils tiennent pour l’assassin de Jeanne d’Arc.
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On ne peut, en 2011, avancer qu’une conclusion : Jeanne d’Arc est l’un des mythes les plus extravagants et incohérents de l’histoire de France. Il est impossible de prêter la moindre vraisemblance au récit de cette bergerette inspirée par le ciel et qui, le jour même de sa présentation à Charles VII, se bat en tournoi avec le duc d’Alençon. Son procès est un truquage et l’on ignore, vu les précautions prises, qui fut la personne brûlée à Rouen. L’Église le savait bien, car elle ne canonisa ce mythe qu’avec un retard sans précédent. Mais bien des travaux seront encore nécessaires pour rétablir la vérité. Quant à l’interprétation traditionnelle de son rôle, elle est biaisée.
Pour mémoire, si « Jeanne » avait bien donné le signal d’une révolte contre les Anglais, l’unification de la France était loin d’être réalisée. Même quand Charles VII eut repris la Guyenne, mettant ainsi fin à la guerre de Cent Ans, le royaume de France sous la couronne des Valois comportait un nombre important de fiefs plus ou moins indépendants, duché de Bretagne, comtés d’Armagnac, de Comminges ou de Foix (un siècle plus tard, en 1595, le duc de Mayenne se battrait encore contre le premier Bourbon, Henri IV) et d’autres. Ce fut Richelieu qui acheva l’ouvrage.
Et les mêmes nationalistes qui hissent le drapeau de la France à tout propos s’indigneront étourdiment de la furie des Barbares qui avaient envahi Rome à la suite d’Attila : ils oublient que les Francs figuraient parmi ces Barbares, Vandales et Wisigoths. Les mots sont parfois des traîtres que dénoncent les faits. Entre-temps, la légende héroïque de la Pucelle a engendré dans les populations une fièvre mystique, sans grand rapport et parfois sans rapport aucun avec les faits. C’est un trait commun de l’esprit collectif que celui de se croire protégé par le ciel et promis à une destinée illustre.
Le mysticisme, comme le mythe, peut engendrer des mystifications. Mais quand il est engendré par une mystification réussie, il a encore plus de chances de perdurer.
1436
Le cas de Claude des Armoises,
ou la fausse Jeanne d’Arc
Les historiens contemporains dépêchent généralement en quelques lignes l’épisode de la Dame des Armoises, la fausse Jeanne d’Arc qui mystifia des populations entières plusieurs années après la mort de la Pucelle d’Orléans. Pourtant cette étonnante imposture mérite bien plus d’intérêt que de mépris : elle révèle la puissance de la capacité d’automystification collective.
En 1436, cinq ans seulement après la mort de Jeanne d’Arc, « qu’Anglois bruslèrent à Rouen », comme écrivait à tort le poète François Villon (si elle mourut ce ne fut pas brûlée, mais asphyxiée, et ce n’était pas de la main des Anglais, on l’a vu), on signala de village en village et de ville en ville la présence d’une jeune femme qui ressemblait étonnamment à l’héroïne. Comment pouvait-on juger qu’elle lui ressemblait si on ne l’avait vue ? Car peu de gens avaient jamais rencontré la Pucelle. On argua qu’elle avait le même port altier, le même visage énergique et les mêmes cheveux très noirs. Sans doute étaient-ce là des traits exceptionnels. Mais enfin, la rumeur se répandit. Peut-être Jeanne n’était-elle pas morte sur le bûcher, peut-être était-elle ressuscitée…
Elle se fit recevoir par des notabilités de Mez, avec les honneurs dus à son personnage et une autre rumeur se propagea : elle aurait été reçue par Élisabeth von Görlitz, la duchesse de Luxembourg, qui avait traité Jeanne avec compassion quand celle-ci avait été prisonnière au
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