4 000 ans de mystifications historiques
obscur humaniste lyonnais, Symphorien Champier, fit paraître une Vie du preux Chevalier Bayard . C’est une histoire héroïque, destinée à faire palpiter les cœurs et à mouiller les yeux, dont l’une des scènes majeures est celle où le Chevalier Sans Peur et Sans Reproche adoube le roi François I er au soir de la victoire de Marignan, le 14 septembre 1515, contre les Suisses de la Sainte-Ligue. Cet adoubement a-t-il eu lieu ou bien est-il sorti de l’imagination de l’auteur ? Nul n’en sait rien, car il n’existe aucun témoignage et ce n’est certes pas Bayard qui viendrait contredire le récit : il est mort d’un coup d’arquebuse, en 1522, en couvrant la défaite de Romagnano – une de plus –, en Italie.
Mais les sujets de François I er ont besoin d’héroïsme et rien ne flatte mieux leur amour-propre que ce récit flamboyant, où la splendeur royale s’allie à l’honneur de la chevalerie pour la défense du territoire. Bayard, c’est le nouveau Roland. Et qui n’a besoin des images de vaillance dans des heures sombres telles que le royaume en traverse ? Car un grand roi prisonnier de son ennemi, c’est une grave humiliation pour ses sujets.
L’on célèbre donc Marignan pour se donner du cœur.
Que fut cette bataille ? Un de ces centaines de sanglantes empoignades qui font le tissu de l’histoire de l’Europe pendant des siècles. À peine monté sur le trône de feu son cousin et beau-père, le 1 er janvier 1515, ce « gros garçon » – dont Louis XII déclarait : « Il va tout gâcher » – veut se faire un nom. Il va reprendre le Milanais, que les Valois ont perdu deux ans plus tôt. Car, il faut le rappeler, les monarques de l’époque revendiquent des territoires où ils n’ont que faire ; c’est ainsi que les Suisses revendiquent la Bourgogne, tout comme le fera un peu plus tard Charles Quint.
François I er a comme ennemis l’empereur Maximilien, le roi d’Espagne, futur Charles Quint, quatre cantons suisses et le pape, tous ralliés par le duc de Milan, Maximilien Sforza. Comme alliés, il a les républiques de Gênes et de Venise, et surtout une arme nouvelle sur les champs de bataille, l’artillerie légère. Le premier jour, le 13 septembre, les combats durent jusqu’à la nuit et s’arrêtent parce que personne n’y voit plus rien, en dépit du clair de lune, à cause de la poussière. Le 14, la victoire est à François I er . Elle a coûté la vie à huit mille de ses soldats et à vingt-deux mille Suisses, sans parler des victimes vénitiennes et génoises. Un minimum de trente mille morts. Et pour quoi ? Six ans plus tard, le Milanais est de nouveau perdu et, pour prix de ses nouvelles rodomontades, François I er devra céder à Charles Quint les Flandres, l’Artois, la Bourgogne et le royaume de Naples en échange de sa liberté. De plus, il lui laissera ses fils en otage ; il ne les récupérera qu’en 1529, contre rançon. Pis, il devra épouser la sœur de l’empereur lui-même, Éléonore d’Autriche (sa première femme, Claude, est morte), dont il n’aura aucun enfant.
Marignan a été une victoire stérile et coûteuse et la prédiction de Louis XII s’est avérée. Son mode de présentation à la nation et à la postérité en fait une mystification intégrale. Mais il faut à l’époque raconter des histoires au peuple, alors on lui parle de Marignan. Et l’on en parlera longtemps aux écoliers.
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L’image que le pouvoir royal puis, paradoxalement, les républiques successives présenteront de François I er est totalement étrangère au bilan politique négatif de son règne ; en fait, elle est mystificatrice. Les uns et les autres le dépeindront comme le monarque qui ouvrit la France à la Renaissance et à l’humanisme et qui fut un mécène éclairé ainsi que le protecteur de Léonard de Vinci. On racontera même que le peintre mourut dans les bras du roi, le 2 mai 1519… Douteuse histoire, car le lendemain, le 3 mai, ce dernier était à Saint-Germain-en-Laye, et il fallait deux jours de voyage à l’époque pour aller de Saint-Germain au Clos Lucé, près d’Amboise. Attribuer l’essor des belles lettres au roi, c’est oublier que les lettrés voyageaient déjà beaucoup et que l’humanisme se répandit dans le royaume grâce à l’essor de l’imprimerie et non par la volonté du monarque. C’est omettre également que les châteaux que celui-ci fit construire et les chefs-d’œuvre
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