4 000 ans de mystifications historiques
accouchaient en public et l’on sait trop bien que Louis XIII était rétif à la besogne. Selon certains, il aurait été un frère jumeau, né quelques instants après le premier : autre fadaise car, vu le nombre de personnes présentes dans la chambre de l’accouchée, il y aurait eu une trentaine de prisonniers au masque de fer, hommes et femmes voués au secret éternel.
– Ç’aurait été le page noir de la reine Marie-Thérèse, son amant présumé. L’argument se fonde sur le fait que l’inconnu était brun. Mais brun n’est pas noir, et si l’on avait pu masquer son visage de haut en bas, on n’aurait pu masquer ses mains. Alors un fils clandestin de Marie-Thérèse et du Noir, donc un métis ? Autre faribole : Marie-Thérèse, née en 1638, n’a eu ce page qu’à son arrivée à la cour de France, en 1660. Son premier enfant, le Grand Dauphin, naquit l’année suivante. Et l’homme au masque de fer était né cinq ou six ans plus tôt. Les hypothèses dynastiques ont évidemment dominé : un personnage qui faisait l’objet de tant de précautions devait forcément – comme disait Marguerite Duras, à propos d’une autre affaire – être de la famille.
– Il aurait été le comte Matthioli, ministre du duché de Man-toue, qui avait tenté de vendre à la France la place forte frontalière de Casale, puis qui avait révélé aux Espagnols les pourparlers entre la France et le duché de Mantoue. Attiré dans un guet-apens par les agents de Louis XIV, il avait été embastillé pour forfaiture. C’était la thèse de Sainte-Beuve et de Funck-Brentano. La similitude avec le nom « Marchioly » a prêté quelque consistance à l’hypothèse, mais on ne voit guère pourquoi l’on aurait drapé le ministre indélicat de tant de mystères. D’ailleurs, il mourut, lui, à Sainte-Marguerite, et ne passa certes pas trente-huit ans en prison.
– Il aurait été le fils de Cromwell.
– Enfin, il aurait été l’abbé Pregnani, conseiller de Charles II d’Angleterre pour les affaires religieuses et, comble de l’intrigue, un fils naturel de ce roi ! Même objection : pourquoi lui imposer prison et masque de fer ? Et pourquoi Charles II ne fit-il rien pour le faire libérer ?
Le délire inventif, voire mythomaniaque, s’en mêlera : on prétendra tour à tour que l’homme au masque de fer avait été Louis XIV lui-même, son frère Alexandre ayant pris sa place, que c’était Molière, puis un ancêtre de la maison Bonaparte ! Au début du XX e siècle, l’abbé Félix de Valois (rien de moins), de Marseille, prétendit descendre de l’inconnu et revendiqua le trône de France.
Plusieurs chercheurs et historiens se sont attachés à un curieux personnage, le chevalier Eustache d’Oger de Cavoye, dit par certains Danger (il ne peut y avoir eu un Eustache d’Oger et un Eustache Danger, tous deux suspects), qui se serait prétendu détenteur d’un secret d’État : le projet de conversion de Charles II d’Angleterre au catholicisme. Cela aurait modifié sans doute la politique de la France, mais il n’y aurait alors eu aucune raison d’enfermer l’informateur dans le double cachot d’un masque et de murs. D’Oger est certainement un candidat plausible à l’identité de l’homme au masque de fer : il avait été arrêté à Calais en 1669 ; or, cette ville est proche de Dunkerque, où il aurait pu être emprisonné avant d’être expédié à la Bastille. Objection majeure : lorsqu’il fut arrêté et embastillé, d’Oger ou Danger avait gardé le visage découvert ; on l’avait même mis au service du surintendant des Finances, le célèbre Fouquet, qui était lui aussi pensionnaire de la Bastille. Il y demeura cinq ans et fut soupçonné d’avoir empoisonné Fouquet. En tout cas, il n’avait certes pas commis un grand crime à son entrée dans la forteresse, sans quoi on ne lui eût pas concédé un emploi stipendié – il touchait 165 livres par mois –, où il avait même licence d’aller se promener sur les remparts. Il avait tout au plus essayé de monnayer des bobards à la police et avait sans doute fini par indisposer quelque puissant personnage qui avait décidé de le mettre à l’ombre.
Mais pourquoi tout à coup l’affubler d’un masque ? Et pourquoi fut-ce l’unique personnage du règne de Louis XIV à qui l’on imposa cet accessoire de carnaval ? Il y en avait pourtant eu quelques autres qui avaient souffert
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