4 000 ans de mystifications historiques
toute l’Europe, les distinctions tournent parfois aux distinguos.
Un postulat commun à toutes les écoles est que l’Italie fut le foyer de la Renaissance ; ce fut là que l’âge classique prit forme et sépara un âge des ténèbres supposé d’un âge des lumières. L’antique culture gréco-romaine, jusqu’alors enfouie sous les décombres de la superstition et de l’ignorance, se serait progressivement imposée, reflétant une vision du monde fondée sur la loi divine et la logique, qui en est l’expression. Dans ce cadre spirituel et intellectuel, les savants auraient repris leur exploration du monde, enrichissant de la sorte les sciences et les techniques ; Et le niveau de vie des Européens se serait élevé petit à petit, entamant la progression qui le mènerait aux temps modernes. Cette période commencerait à la charnière des XV e et XVI e siècles.
Cette interprétation est à première vue plausible et surtout rassurante. Elle comporte cependant des failles importantes. En premier lieu, l’étude des textes anciens, en grande partie transmis par les Arabes, ne fut jamais plus intense qu’au XIII e siècle ; il faudrait alors reporter le début de la Renaissance à cette époque. Et de nouveaux problèmes de chronologie surgiraient.
En deuxième lieu, la conviction que les lumières provenaient de la culture gréco-romaine et d’elle seule entraîna des erreurs importantes. Ainsi de l’idée que l’architecture gothique était « barbare » (l’appellation « gothique » l’exprime clairement, bien que le gothique fût né en Île-de-France), alors que le principe de celle-ci était d’un modernisme saisissant : c’est celui de la structure autoportante, que l’architecture du XX e siècle allait récupérer, rejetant aux oubliettes le principe des murs porteurs de l’architecture classique.
En troisième lieu, la domination de plus en plus tyrannique de la culture gréco-romaine constituait une régression plutôt qu’une évolution. La quasi-sacralisation des textes d’Aristote et de Platon ne correspondait absolument plus à l’expérience du monde au XVI e siècle. On ne le mesura jamais plus clairement qu’à la réaction de l’Église aux découvertes de Galilée, en plein XVII e siècle.
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Dans la seconde moitié du XX e siècle, et tandis que l’on utilisait encore, faute de mieux, la notion de Moyen Âge, il apparut à plusieurs historiens que ce repère perdait progressivement de son utilité. À l’ère de la mondialisation, son caractère européo-centriste le rendait inutilisable par et pour le reste du monde. Il eût été ridicule de parler d’un Moyen Âge pour la Chine, l’Inde ou les Amériques. S’il fallait se référer au développement des techniques, la Chine, par exemple, qui avait découvert le papier, la poudre, l’imprimerie à caractères mobiles et la boussole, pour ne citer que ces instruments qui commandèrent le destin du monde, la Chine, donc, aurait vécu sa Renaissance avant son Moyen Âge. Dès la fin du XV e siècle, en effet, ce pays se replia de plus en plus sur lui-même.
Mais l’on s’était intéressé auparavant aux origines de la tradition tacite et plus ou moins consciente, consistant à fixer l’an mille comme repère historique. Et l’on mit au jour une masse de prophéties relatives au fameux An Mil, de saint Augustin et de Bède le Vénérable à l’époque de Bossuet. L’origine de l’expression « Moyen Âge », monnaie de singe, se situait en réalité dans une vieille peur de la fin du monde.
1515
Marignan, un cataplasme
sur une gloire militaire endommagée
Rien n’enchanterait davantage François I er , s’il vivait encore, que la prouesse mnémonique de tous les écoliers de France depuis des siècles à se rappeler « quinze cent quinze, bataille de Marignan ». Ce fut lui-même qui fit… en 1525 propager cette date quasiment mythique au firmament des heures héroïques de son royaume. Il en avait bien besoin : il venait de subir une défaite cuisante. L’empereur Charles Quint, qui revendiquait le Milanais, s’était emparé de Milan, jusqu’alors aux mains de François I er ; celui-ci était allé, avec quelque retard, assiéger la ville proche de Pavie. Et, désastre, non seulement il n’avait pas emporté la ville, mais il avait été fait prisonnier et emmené en captivité à Madrid. Sa mère, Louise de Savoie, avait alors assumé la régence.
En cette année 1525, un
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