4 000 ans de mystifications historiques
des derniers combats avec le Chili, et lui soumit son projet : l’Araucanie serait constituée en royaume, avec un gouvernement unique, capable de discuter d’égal à égal avec les États voisins.
Et l’extraordinaire advint : le projet fut accepté avec enthousiasme par le conseil des tribus et Antoine de Tounens fut élu roi par les Araucaniens.
Avec le même aplomb, le 17 novembre 1860, Orélie Antoine I er publia un décret fondant une dynastie héréditaire. Puis il rédigea une constitution, approuvée par le Parlement, et en donna officiellement communication au Chili, à l’Argentine, au Pérou, à la Bolivie, au Brésil et aux représentants des puissances européennes sur le continent sud-américain. Le quotidien de Santiago El Mercurio publia intégralement les décrets et la constitution d’Araucanie. Le nouveau drapeau bleu-blanc-vert flotta sur la résidence royale.
Peu après le gouvernement et l’Assemblée nationale chiliens étudièrent le budget nécessaire pour un plan de conquête de l’Araucanie. Peut-être avaient-ils sous-estimé l’importance de l’événement : le 20 novembre, trois jours après la proclamation du nouveau royaume, des émissaires de Patagonie vinrent demander à joindre leur pays à l’Araucanie, afin que les deux n’en fissent plus qu’un. La Patagonie luttait, en effet, contre les installations de colons illégaux argentins. La requête fut approuvée et, le soir même, le royaume d’Araucanie-Patagonie était proclamé. Il était aussi grand que la Bolivie ou le Paraguay.
L’ébahissement et le désarroi régnèrent dans les chancelleries. Comment, il avait suffi de la volonté d’un visionnaire pour créer un pays ? On chercha quelque vice de forme qui annulerait la légitimité du royaume d’Araucanie-Patagonie. Mais Tounens était avocat et l’on ne put déceler la moindre faille juridique dans la constitution qu’il avait proclamée.
Il n’y aurait que la guerre pour abattre le royaume.
*
Elle fut longue : ce ne fut qu’en 1882 que le Toqui Quilapan, fils de Magnil et ministre, abaissa symboliquement le drapeau bleu-blanc-vert devant l’envahisseur chilien. Il était ministre non du roi Orélie Antoine I er , mais de son successeur, Achille I er . Car Orélie Antoine était mort en 1878, dans son lit, à Tourtoirac en Périgord, non loin du lieu où il était né.
Entre-temps, sa vie avait été mouvementée : fait prisonnier par les Chiliens, au cours d’une bataille, il avait comparu à Santiago dans un procès sans fond. Aucun chef d’accusation ne pouvait être invoqué contre lui, et surtout pas celui d’avoir violé les frontières chiliennes, celles-ci n’étant pas encore arrêtées ni reconnues internationalement ; c’étaient plutôt les Chiliens qui avaient violé le royaume souverain d’Araucanie-Patagonie. Le juge le déclara fou et le fit expulser vers la France. Orélie Antoine I er revint peu après et fut acclamé par ses sujets, qui l’avaient cru mort. Le royaume avait été dirigé en son absence par le lieutenant-général désigné par le roi, Achille Laviarde. L’homme était un riche Rémois (l’un des fondateurs et principaux actionnaires des champagnes Moët & Chandon), bonapartiste ardent et grand voyageur, pionnier de l’aviation et de l’auto – il fut l’un des premiers à en posséder une –, bref, l’un de ces créateurs d’empires qui abondaient au XIX e siècle et dont Cecil Rhodes, fondateur de la Rhodésie, fut un autre exemple. Sentant sa santé décliner, Orélie Antoine l’avait désigné comme successeur légitime.
Telle fut la raison pour laquelle Le Figaro , quand il annonça sa mort, désigna Orélie Antoine I er comme l’ex-roi d’Araucanie-Patagonie.
Achille I er ne démérita pas : il dépêcha des consuls dans toute l’Europe, à Paris bien sûr, à Londres, à Rome et dans d’autres capitales. Ils reçurent tous l’ exequatur . Il organisa un ambitieux plan d’aide économique à son royaume, avec le concours de financiers internationaux, et il s’apprêtait également à organiser une armée moderne quand il mourut en 1902, à Paris.
La dynastie de Tounens n’avait pas mérité son nom : le troisième roi d’Araucanie-Patagonie fut Antoine Cros… Le frère du poète Charles Cros. Antoine II, désigné par Achille I er , comme successeur, n’était pas moins haut en couleur que ses prédécesseurs : avide d’horizons nouveaux, il était
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