A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
Je ne sais toujours pas... Dans cette petite salle de cinéma où nous n'étions que toutes les trois, nous avons d'abord vu les premiers bombardements sur la ville, en 1939. Nous avons vu le ghetto juif, son insurrection puis celle, un
peu plus tard, de la ville tout entière ; l'exil de la foule dans laquelle marchaient les parents d'Olga, la serrant contre eux, petite fille d'un an ; Varsovie sous les bombes et sous les bottes des nazis, sous la neige et sous le soleil, quatre longues années d'occupation. Et puis à la fin de la guerre, tandis que de l'autre côté de la rivière les Russes attendaient sans lever le petit doigt, nous avons lu le terrible télégramme signé Adolf Hitler : « Varsovie doit être rasée. » Nous avons observé comment, rasée, la ville le fut, méthodiquement, systématiquement. Chaque maison numérotée, puis incendiée, dynamitée, afin que de Varsovie il ne reste plus rien, qu'un champ de ruines, de sable et de pierre. Puis, après la guerre, nous avons vu le retour des rescapés, ceux qui n'étaient pas morts en déportation — 600 000 habitants ont disparu —, qui retrouvaient l'emplacement, à défaut des 'murs, de leurs maisons. Eva me raconta ensuite que, de la bibliothèque où travaillait son grand-père, il ne restait qu'un rideau de livres qui s'effondraient en poussière quand on voulait les toucher, fantômes de mort auxquels il a fallu survivre. Nous avons vu comment Varsovie s'est relevée, comment les bras de ses rescapés l'ont reconstruite à l'identique, maison par maison.
Quand la lumière s'est rallumée dans la petite salle de projection, Eva avait les yeux pleins de larmes.
En septembre, lorsque l'actualité m'apprit un beau matin que les ex-communistes (même si, me disait-on, ils n'avaient plus grand-chose de communiste) avaient repris le pouvoir en Pologne, je n'ai pensé qu'à elle... Elle s'était tant battue !
Olga la brune. La vive au teint mat. Olga la Tchèque qui vivait depuis trois ans une belle histoire d'amour avec un Français et parlait à toute allure. Merci à vous aussi, Olga, de m'avoir accompagnée tout le long de cette première journée à Prague. De m'avoir permis, en si peu de temps, de découvrir l'essentiel. Prague dont j'avais tant entendu parler sans y être jamais allée, Prague dont tous m'avaient dit que c'était la plus belle ville d'Europe. Sa place Wenceslas, son château, sa place du vieil hôtel de ville avec son horloge, son pont Charles, et puis « son Mozart », en hommage auquel Milos Forman avait tourné ici Amadeus... Et puis naturellement, son printemps et son communisme, même tempéré, jusqu'en 1989. Dire qu'aujourd'hui Prague, capitale de la République tchèque, a
même eu son président poète ! Bien sûr, la ville et ses monuments, églises, places et trésors m'ont séduite, mais c'est le regard et la voix d'Olga plus que le trésor de la Lorette ou la cathédrale Saint-Guy qui me reviennent aujourd'hui quand je ferme les yeux sur Prague. Née dans la ville, Olga avait passé presque toute sa vie sous le communisme, exception faite d'une parenthèse en France pour se présenter au bac, ce « diplôme bourgeois », disaient les communistes à son retour. Il y a quatre ans à peine, elle servait d'interprète pour l'Unesco et le ministère de la Culture et travaille aujourd'hui pour l'institut français. Olga, un jour, écrira tout. Tout ce qu'elle a vu, entendu, tout ce qu'elle a vécu. Pas maintenant, disait-elle, c'est trop tôt. 1989, c'était hier. Il faut le temps de prendre du recul. D'encaisser le choc. Elle racontera les conférences des responsables du parti, rouges d'alcool et de bêtise, qui débitaient et enchaînaient des phrases sans queue ni tête — qu'elle notait dans un petit carnet — devant des foules abruties qui n'osaient rien dire. Elle décrira les queues dans les magasins, comment l'on manquait de tout, comment il fallait aller jusqu'à la campagne pour trouver des serviettes hygiéniques ; elle racontera la schizophrénie
des gens, leur peur et leur méfiance de tout et de tous, partout, dans la rue, au travail. Elle narrera aussi les manifestations sur la place Wenceslas contre le pouvoir communiste, en novembre 1989 (elle n'en a manqué aucune avec sa fille), où les intellectuels et les étudiants de Prague se retrouvaient pleins d'espoir. Elle dira aussi son émotion et celle de tous les Tchèques, lorsque Vaclav Havel fit sa première apparition de président sur le
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