A bicyclette... Et si vous épousiez un ministre ?
la bicyclette me contraignant la plupart du temps au pantalon, j'avais exclu tout ce qui ressemblait de près ou de loin au petit tailleur classique, jupe droite et veste.
Mon adaptation se fit en deux temps. Au départ, j'adoptai le système du « vestiaire » au Quai d'Orsay. J'avais acheté deux ou trois de ces tailleurs passe-partout tout-usage. Ils faisaient l'affaire aussi bien pour déambuler dans les différentes pièces du Quai d'Orsay, de la cuisine aux salons d'honneur en passant par
les secrétariats, que pour aller déjeuner dans une ambassade à midi, ou recevoir des visiteurs dans mon bureau... Je les laissais là-haut dans la penderie du boudoir de la Reine, me changeais quand j'arrivais le matin à bicyclette, et remettais ma tenue de cycliste le soir pour repartir. Petit à petit, je me suis rendu compte qu'une telle transformation n'était pas nécessaire tous les jours. D'une part, je pouvais rester en pantalon dans un certain nombre de circonstances; de l'autre je n'étais pas obligée non plus de pédaler en jean. J'adaptai donc à nouveau ma garde-robe et me changeai uniquement pour les occasions particulières, ou encore choisis de ne pas venir à vélo.
Pour les réceptions officielles, en revanche, les dîners (très rares) en robe longue ou les réceptions à l'étranger... ce fut, si j'ose dire, une autre paire de manches. Je cédais, je l'avoue sans honte, aux conseils d'un ou deux amis qui me mirent en relation avec de grands couturiers. Réservée sur le principe, je me laissai vite convaincre que l'intérêt de ces « prêts » était en fait partagé. Le mien était d'être bien habillée pour un dîner à l'étranger, sans avoir besoin d'acheter une robe que je n'aurais pas eu de toute façon
les moyens d'acheter. L'intérêt de la maison de couture étant de montrer ses créations, le fait qu'elles fussent sur le dos de la femme du ministre des Affaires étrangères leur assurait une relative publicité.
Alain finit assez rapidement par trouver, après tout pourquoi pas, que c'était une excellente idée. Les hommes, au fond, sont à peu près tous les mêmes. La femme qui les accompagne, ils la préfèrent plutôt bien habillée que vêtue comme l'as de pique. Assez bien vêtue pour flatter leur orgueil, mais pas trop, pour ne pas attirer de regards inopportuns ! Subtil équilibre à trouver...
Ce fut en tout cas la découverte d'un nouveau monde, celui de la haute couture. Je pénétrais ainsi sur la pointe des pieds dans l'univers des collections d'hiver ou d'été, que ma spécialité journalistique antérieure (les problèmes de défense) m'avait rarement amenée à côtoyer. Je fus invitée à quelques défilés de mode. C'est ainsi que je découvris en chair et en os (plus d'os que de chair, d'ailleurs...) les créatures de rêve que sont les Claudia Schiffer, Naomi Campbell, Cindy Crawford, Estelle Hallyday... J'en garde le souvenir émoustillé de spectacles chorégraphiques à l'esthétique très réussie avec, à la
sortie, la dose d'émerveillement, d'envie et de résignation que procure immanquablement la vision rapprochée d'un luxe qui restera inaccessible.
Chapitre VII
Dans le cocon du pouvoir
Cette nuit-là, ma bicyclette a dormi au Quai d'Orsay. Il pleuvait au moment de partir, le vent s'était mis d'un seul coup à tout balayer sur son passage et j'avais opté pour la version conducteur. (J'ai appris que le mot chauffeur est réservé à ceux qui travaillent dans une chaufferie.) Le ciel était bas, le boulevard Saint-Germain, luisant, grouillait de circulation, les automobilistes paraissaient à cran. Je suis arrivée en retard à la maison. Les enfants, je m'y attendais, faisaient la tête. « A quoi ça sert d'avoir pris ta retraite d'un an si c'est pour aller toute la journée au Quai d'Orsay ? » me lança du haut de ses huit ans Quentin, qui avait accueilli l'annonce de mon année sabbatique comme une promesse de présence permanente à ses côtés. Moi, j'avais juste envie de calme et de tendresse enfantine. Alain allait rentrer tard, comme souvent
désormais, avec une « tonne » de fatigue et autant de dossiers à ingurgiter avant de s'endormir quelques heures. Pour redécoller le lendemain vers je ne sais quelle destination...
Entre les voyages incessants aux quatre coins du monde, les rendez-vous téléphoniques avec les homologues étrangers, les réunions de travail au Quai d'Orsay, à Matignon ou à l'Elysée, les entretiens avec les
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